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A 93 ans, le pouvoir de la force chez Menahem Pressler à la Seine Musicale

Sa frêle silhouette dépasse à peine un mètre quarante. Il ne peut plus marcher seul et a besoin de quelqu'un, en plus d'une canne, pour s'avancer jusqu'au piano. Il lui faudra plus d'une minute pour s'installer sur une chaise renforcée par trois coussins. Puis les doigts de touchent le piano, et malgré de nombreuses notes tapées à côté, la grâce et l'intelligence ressortent avec évidence de ce magnifique récital à la Seine Musicale, laissant planer des Debussy en apesanteur et de superbes Mazurkas de Chopin dans l'acoustique de la nouvelle salle de Boulogne-Billancourt.

La Chaconne HWV 435 de Haendel prend son temps et fait déjà penser à une pièce de Bach sous les doigt du vieux pianiste de quatre-vingt-treize ans. Elle précède une Fantaisie KV475 de Mozart dont la douceur s'accorde à la rondeur, d'une sensibilité particulière dès le premier passage sur la partie aiguë du piano Steinway. Ce brin d'homme pourtant si grand à l'intérieur offre toujours son style si particulier, souvent obligé de croiser les mains alors que cela se fait de moins en moins de nos jours, et surtout avec un appui quasi permanent du pied gauche sur la pédale créant la douceur, quand le droit appuie lui aussi très régulièrement pour développer la rondeur. La Sonate KV457, enchaînée immédiatement, laisse apparaître des signes de fatigue,  là où la Fantaisie avait au contraire libéré le son en même temps que délié les doigts de .

Au retour d'entracte, la première pièce du Livre I des Préludes de Debussy, Danseuses de Delphes, inquiète par une tenue de notes imprécise, en même temps que transparait du résultat sonore une véritable sensation d'épuisement. Le début de la partition Lent et grave autant que doux et soutenu s'accorde alors totalement à ce que l'on entend, mais effraie l'auditeur conscient qu'il reste au programme encore quatre pièces du Français avant trois de Chopin. Puis Voiles débute en même temps que la magie d'un son aérien, pendant tout ce prélude comme dans les deux suivants, La fille aux cheveux de lin cristallin autant qu'expressif, et surtout La cathédrale engloutie, dont la partition demande un caractère Très calme et doucement expressif peut-être jamais aussi bien rendu qu'ici. Ministrels fascine peut-être moins, mais n'empêche pas ensuite une magnifique Mazurka opus 33 de Chopin, dont la dextérité impressionne maintenant.

La Ballade n° 3 opus 47 commence véritablement à démontrer les signes du harassement alors qu'il est plus de 22h30 lorsqu'elle débute, et alors même que le temps avait été complètement oublié pendant la seconde Mazurka et la n° 4 opus 67, d'une finesse incroyable mais toujours surprenante dans la gestion des pédales, surtout celle de gauche toujours appuyée. Puis, alors que l'aller-retour pour les saluts semble particulièrement éprouvant, l'homme s'avance une dernière fois et recrée la sensation d'apesanteur pour une ultime pièce de Debussy, un Clair de Lune d'une beauté à pleurer, tiré de la Suite Bergamasque pour être rendu à l'éternité.

Crédit photographique : © Julien Mignot

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