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11e Tons Voisins : Mozart l’albigeois

Plus que jamais, la 11e édition du Festival Tons Voisins à Albi, totalement dédiée à Mozart, aura mérité son appellation de rencontres internationales de musique de chambre. Solistes prestigieux, concertistes confirmés, jeunes musiciens à la carrière déjà éloquente ou élèves en fin de conservatoire : pendant quatre jours, à un rythme soutenu, ils ont décliné l'art et le plaisir de faire de la musique ensemble.

C'est la magie de cette joyeuse bande réunie et fédérée par le pianiste , qui alterne programmes d'orchestre et de musique de chambre dans un esprit que l'on peut comparer au fameux festival de Marlboro, fondé par Adolf Bush et Rudolf Serkin dans les années 50 du siècle dernier. Si les fins d'après-midi et les soirées sont dédiées aux concerts, le reste du temps se passe en répétitions et celles-ci sont denses et studieuses. Par exemple, le connaît fort bien cette œuvre qu'il joue souvent, mais il a consacré trois bonnes heures de travail au Quintette à deux violoncelles de Schubert avec Aurélien Pascal. Pour le superbe spectacle de autour de la Flûte Enchantée, Les Faubourgs de Vienne, orchestre et chanteurs ne se sont rencontrés pour la première fois que l'après-midi avant la représentation, soit une mise en place de deux heures, lorsqu'un tel projet se monte habituellement en une dizaine de jours… Le travail se fait dans une ambiance détendue pour un résultat parfait. C'est peu dire des capacités de cette nouvelle génération de musiciens et de l'excellence de leur formation.

Quant aux lieux, le festival s'inscrit dans le magnifique écrin de la vieille ville d'Albi, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, bénéficiant d'un fructueux partenariat avec la Scène Nationale, qui lui ouvre son Grand Théâtre et assure la régie tant au Théâtre des Lices qu »à la magique cour privée de l'Hôtel de Gorsse ou à la prestigieuse cour d'honneur du palais de la Berbie.

Au gré de la correspondance de Mozart

Chacun des dix concerts, qui suivait le parcours de Wolfgang, était ponctué comme un fil rouge, d'extraits de lettres de Léopold à son fils, de Wolfgang à son père, d'Anna-Maria à son mari ou de Wolfgang à Constance, dits ou plutôt interprétés selon une belle présence par le comédien . Ainsi, la production de Wolfgang, surtout la musique de chambre, est liée aux événements de sa vie comme les deux voyages à Paris, sa volonté farouche de s'affranchir de l'archevêque de Salzbourg et sa difficulté à vivre comme musicien indépendant au gré des commandes et de la faveur des puissants.

a élaboré une programmation aussi historique que musicale, augmentant en intensité, où les chefs-d'œuvre incontournables croisent des pépites méconnues comme des œuvres mineures.

Au chapitre des ascendants, on a pu entendre le rare Concerto pour trompette en ré majeur de Léopold Mozart, dans une tessiture très aigüe, par , ainsi que l'étonnant divertissement symphonique du même, en trois mouvements avec une partie de vièle à roue, Die Bauernhochzeit. L'hommage à son ami et père spirituel était incontournable avec une vivifiante interprétation de son 1er Concerto pour violoncelle en ut majeur. À l'archet, le jeune Aurélien Pacsal, tout juste de retour du concours Reine Elisabeth à Bruxelles où il a obtenu le 4e prix, fait merveille avec son instrument de 1850 du luthier français Charles-Adolphe Gand. La sonorité ample et la rondeur du timbre dans les solos répond à la belle maîtrise de l'orchestre du festival, dirigé par le très prometteur Léo Margue, jeune chef de 27 ans.

Plus tard dans la soirée, le même orchestre répond avec finesse à l'archet d'Augustin Dumay dans le 3e concerto pour violon K 216, puis il accompagne l'altiste dans le concerto de Philippe Hersant Musical Humors, qui lui est dédié, se référant au recueil de même titre de Tobias Hume, ce curieux gambiste et soldat anglais du XVIIe siècle. Enfin, les deux compères Augustin Dumay et se retrouvent pour une Symphonie concertante pour violon et alto K 364 d'anthologie, toute de complicité avec la tendre mélancolie du célèbre Andante.

Aventure et amitiés maçonniques

L'appartenance maçonnique de Mozart au sein de la loge de La Nouvelle espérance couronnée est évoquée en plein air sous les frondaisons de la cour de l'Hôtel de Gorsse avec trois œuvres, la brève Musique funèbre maçonnique K 477, le Concerto pour trompette de Hummel et le fameux Quintette pour clarinette et cordes K 581. Dans le concerto solaire de Hummel, le facétieux dirige l'ensemble de la tête et des yeux à l'instar d'un certain Leonard Bersntein dans un finale mémorable de la 88e symphonie de Haydn. Le Quintette pour clarinette est délectable avec les Modigliani en grande forme et superlatif au cor de basset. C'est d'ailleurs pour cet instrument, arrangé par son ami et dédicataire de l'œuvre Anton Stadler, que Mozart composa ce chef d'œuvre. Notons qu'au moment du sublime Larghetto, ils eurent à lutter contre le puissant carillon de la cathédrale Sainte-Cécile, qui sonnait l'Angelus comme trois fois par jour…


La journée du jeudi s'achevait à l'ancien Théâtre des Lices, charmant théâtre à l'italienne, pour une évocation originale des faubourgs de Vienne et de la collaboration entre Mozart et Schikaneder. Le comédien, metteur en scène et baryton a imaginé un spectacle lyrique retraçant la genèse de La Flûte enchantée, mettant en scène une répétition où Mozart compose parfois quelques airs et ensembles en direct, dont le redoutable second air de la Reine de la nuit. Avec fraîcheur et naturel, c'est une façon très pédagogique d'aborder l'art lyrique où l'on entend les principaux airs de l'ouvrage, tout en moquant les caprices et les jalousies entre les chanteurs. Les jeunes chanteurs sont superbes et l'on apprécie vivement les qualités d'accompagnateur subtil du chef Léo Margue.

Chefs-d'œuvre et pépites méconnues

Les deux voyages à Paris, sont bien sûr dominés par l'échec du second en 1778, où l'accueil fut plutôt tiède, et lors duquel la mère de Mozart, qui l'accompagnait, mourut. Ils sont illustrés par les petits bijoux que sont les sonates pour violon et piano K 304 et K 379 et le 12e concerto pour piano dans la version pour quatuor à cordes par et le .

En soirée, dans la superbe cour du palais de la Berbie, dont les hauts murs offrent une acoustique idéale, le est à son meilleur dans le Quintette à deux altos K 516 avec , et l'ineffable Quintette à deux violoncelles D 956 de Schubert avec Aurélien Pascal.

Trois concerts rythmaient la dernière journée du samedi. En milieu de journée, divertissements et sérénades agrémentent la cour de l'Hôtel de Gorsse, dont le Quatuor pour hautbois K 370, le Quatuor avec flûte K 285 ou la célèbre Sérénade n° 13 en sol majeur K 525 dite « Petite musique de nuit ». Mais la surprise venait de cette étonnante Sonate N° 5 pour deux bassons d'un certain Etienne Ozi, bassoniste et compositeur nîmois, contemporain de Mozart, dont les œuvres pourtant pleines d'esprit passent rarement les portes des conservatoires. Outre une interprétation subtile, Julien Hardy et Marceau Lefèvre en ont fait une présentation pleine d'humour.

Les vents étaient à l'honneur en fin d'après midi avec les œuvres majeures que sont la Sérénade N° 10 Gran Partita K 361 et le Quintette pour piano et vents K 452 par l'ensemble du festival et le Quintette Akébia, menés avec enthousiasme et jubilation par le clarinettiste . Ces musiques solaires étaient suivies du charmant Quatuor pour piano et cordes K 493 où l'on retrouvait trois membres de la famille Pascal, Denis le père au piano, , la mère, au violoncelle et Alexandre, le fils aîné au violon, avec à l'alto. D'après le musicologue Harry Halbreicht, ce quatuor constitue « l'un des suprêmes sommets de l'œuvre mozartienne, d'une densité, d'une subtilité et d'une richesse d'invention insurpassables, épuisant les possibilités du genre ».

Un jeune chef à suivre

Dans la cour du palais de la Berbie, le concert final était dédié à l'orchestre concertant, de façon à réunir l'essentiel de la bande à Denis Pascal. Le divertissement en ré majeur de Léopold Mozart Die Bauernhochzeit avec vièle à roue fait office d'objet musical non identifié par cette rencontre insolite entre classicisme et accents populaires. Comme toujours, brille dans l'Adagio pour violon K 261, que Mozart composa pour Brunetti, son successeur à l'orchestre de Salzbourg, en substitution de celui du 5e concerto « trop étudié » pour le violoniste, tandis que Mathilde Caldérini irradie dans le Rondeau pour flûte KV anh 184 en ré majeur. Afin d'offrir le cycle complet de ces deux bijoux dans la même soirée, la famille Pascal propose une interprétation enjouée du Quatuor avec piano K 478.

Enfin, l'orchestre accompagne Denis Pascal dans le 23e concerto pour piano K 488 en la majeur. L'autorité et la clarté du jeu de Denis Pascal font merveille, avec une cadence enlevée au premier mouvement et la poésie si touchante de l'Adagio, sans doute le plus émouvant que Mozart ait composé. L'orchestre répond magnifiquement sous la direction aussi enthousiaste qu'efficace et élégante de Léo Magre.

Crédit photos : © Alain Huc de Vaubert

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