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Mikko Franck et le Philhar, épiques dans Sibelius

Pour son dernier concert de la saison dans le grand auditorium de la maison ronde, conduit le Philhar sur des sommets dans une interprétation d'anthologie des quatre légendes de Lemminkaïnen de Sibelius, pièce maîtresse d'un concert comprenant également le futuriste Concerto pour piano n° 2 de Prokofiev dans une lecture assez originale du pianiste russe, , et la peu connue Symphonie en si mineur de Debussy dans une orchestration récente de . Une affiche particulièrement attractive et audacieuse qui tint toutes ses promesses et enthousiasma le public venu nombreux pour un concert qui restera assurément comme un des plus réussis de l'année.

On passera rapidement sur la Symphonie en si mineur de . Une œuvre de jeunesse composée par un Debussy âgé de 18 ans, encore étudiant, adressée et dédiée dans sa version originale pour piano à quatre mains à Nadedja von Meck, protectrice bien connue de Tchaïkovski, à qui le jeune Claude servit de pianiste répétiteur dans ses villégiatures estivales. Il semble que Debussy n'en ait écrit qu'un mouvement unique secondairement orchestré en 2009 par . Une partition d'un intérêt anecdotique fortement influencée par le compositeur russe où il faut être grand clerc pour reconnaître ne serait-ce que les prémisses ou les simples ébauches du Debussy que nous connaissons aujourd'hui. Une sorte de tour de chauffe pour la phalange parisienne, animé d'un lyrisme un peu mélancolique conduit par le violon solo et la flûte auquel succèdent des accents passionnés menés par les cuivres. Une bipolarité assez caractéristique du maître russe et une orchestration somme toute assez réussie.

Plus intéressant, sans nul doute, le Concerto pour piano n° 2 de Prokofiev dont donne dès les premières notes une lecture assez originale par la lenteur du tempo et le caractère diaphane et retenu du toucher. Un phrasé délicat auquel répond un orchestre et un chef particulièrement à l'écoute. La cadence grandiose est l'occasion pour le pianiste russe de faire montre de toute sa virtuosité, imposant une digitalité à la fois précise et puissante. Très motoriste et syncopé, le Scherzo témoigne, quant à lui, d'une mise en place sans faille, véritable toccata sur laquelle s'élèvent avec véhémence les stridences des bois. Le Final assez comparable par son ampleur au mouvement initial s'en différencie néanmoins par une longue cadence très poétique avant de conclure par une coda impressionnante d'énergie. Une interprétation pianistique qui souffre toutefois quelques critiques par son manque de puissance dans la sonorité, à l'origine de quelques déséquilibres avec l'orchestre. Une vision qui souffre également d'un toucher pouvant sembler parfois un peu maniéré et d'un manque d'engagement contrastant avec le jeu volontiers percussif habituellement développé par l'école russe de piano, pour une fois justifié dans cette œuvre. Un jeu qui reste toutefois d'une suprême élégance, délicat, nous donnant à entendre force détails, très contrasté et nuancé, donnant ainsi beaucoup de relief et de couleurs au phrasé. En bis, , généreux après l'épreuve physique intense que constitue le concerto, donne, dans un contraste saisissant, une reprise du deuxième mouvement et une sublime sonate de au toucher exceptionnel de transparence et de musicalité.

Pièce maitresse de ce superbe concert, la Suite de Lemminkaïnen de Sibelius, rarement donnée en intégralité, occupe à elle seule toute la seconde partie. Une suite de quatre pièces symphoniques, pouvant se comparer à une symphonie en quatre mouvements, tirées des quatre légendes de Lemminkaïnen, retraçant les aventures du héros relatées dans l'épopée du Kalevala. Une partition dont le caractère narratif confine rapidement à l'épopée, terrain de prédilection du chef finlandais qui n'hésite pas pour cette interprétation d'exception à descendre de son pupitre afin de se retrouver au milieu de ses troupes galvanisées par sa battue ample et son chant ! Le premier mouvement est mené de façon très engagée sur un tempo assez rapide, un phrasé tendu et prenant où les cordes graves et notamment le pupitre des violoncelles se montre exemplaire. Le second mouvement, le célèbre Cygne de Tuonela, est quasiment dévolu en totalité au solo du cor anglais (excellent Stéphane Suchanek), véritable chant de mort où la complainte lugubre s'élève au-dessus d'un tapis de cordes d'une belle fluidité avant de retomber dans le silence. Dramatique, le troisième mouvement fait la part belle, encore une fois, aux cordes graves, à la petite harmonie et aux cuivres participant d'un crescendo parfaitement maîtrisé, aux sonorités inouïes. Le mouvement final est une authentique chevauchée épique conduisant à une coda jubilatoire signant le retour du héros. Une interprétation habitée qui soulève l'enthousiasme de l'auditorium et de Marc Vignal, présent dans la salle, et spécialiste incontesté de Sibelius, ce qui n'est pas rien ! Bravo !

Crédit photographique :  © JF Leclercq ; Alexander Toradze : © Peter Ringenberg

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