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Goerner et Papavrami au cœur de la musique française

Toute l'émotion ineffable de la musique de Fauré et Franck semble distillée dans ce duo entre le pianiste argentin et le violoniste , dans le cadre suranné du Théâtre des Bouffes du Nord. Leur choix s'est porté sur trois œuvres emblématiques du renouveau de la musique chambriste française : les deux sonates de Fauré, composées à quarante ans d'intervalle et la très célèbre sonate de Franck.

Tout au long du concert, ces deux personnalités artistiques jouent avec une présence égale et équilibrée. Nous retrouvons le violon de , avec sa sonorité étoffée et son phrasé ample, qui imprègne les œuvres de lyrisme, mais sans effet de romantisme. Il y a également le jeu de tout en souplesse, qui apporte une grande variété de couleurs et, parfois, une certaine urgence à ces œuvres dont la partie de piano dépasse largement le rôle d'accompagnement. Tout cela est pourtant réalisé dans une tension vers un même but, avec un souci de cohésion et de précision dans les échanges.

Dans la première sonate de Fauré, les artistes privilégient l'expressivité du chant : le violon, malgré sa sonorité étoffée et timbrée, laisse une impression rêveuse, planant au-dessus du rythme délicat de barcarolle dans le deuxième mouvement, ou au-dessus des descentes de gammes dans le dernier. Ils peuvent aussi révéler le thème agile et facétieux du Scherzo, plus léger et au tempo plus serré. La deuxième sonate nous présente un autre Fauré, plus sombre, moins abordable. Le lyrisme est toujours présent dans le texte comme dans l'interprétation, en particulier dans l'Andante, où le temps s'étire dans les digressions autour du petit thème simple. Pourtant, cette sonate est marquée par de nombreuses ruptures, qu'il s'agisse de modulations, d'audaces harmoniques, et de rythmes plus syncopés, d'attaques plus marquées (la corde crisse par moment), que soulignent légèrement les interprètes.

La sonate de Franck est l'aboutissement très réussi de ce concert. L'introduction du premier mouvement, à la progression si bien amenée jusqu'au beau solo du piano, le second mouvement, emporté et habité, puis le récitatif (Recitativo fantasia. Ben moderato) du violon, émouvant sans effet de rubato romantique, jusqu'au dernier mouvement, dans lequel Papavrami et Goerner nous montrent tout ce qui peut se passer de tragédies et d'éclaircies apaisées dans un mouvement : autant d'exemples d'une lecture intelligente de l'œuvre. Après le bis (Berceuse de Fauré), et telle la « petite phrase » chez Proust, la sonate de ce soir ne laisse de rester en mémoire.

Photos : et © Jean-Baptiste Millot

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