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L’Oeil écoute au festival Manifeste de l’IRCAM

A Nanterre, dans le cadre du festival , Campo santo, une « histoire de fantômes » par et Pierre Nouvel ;  et Sound & Vision par l', entre musique et performance visuelle.

« La poétique des ruines » de

Après l'opéra Austerlitz tiré du roman éponyme de W.G. Sebald, que compose en binôme avec son partenaire vidéaste et scénographe Pierre Nouvel en 2011, Campo Santo (cimetière en italien) est une nouvelle « expérience de terrain », un lieu de mémoire investi physiquement et sensoriellement par les deux artistes, duquel ils tirent la matière sonore et visuelle de leur spectacle, tout à la fois concert et installation.

C'est à Pyramiden, une cité minière perdue dans les neiges du Spitzberg à 600 kilomètres du Pôle Nord que Jérôme Combier est allé poser ses micros tandis que Pierre Nouvel captait des images du ciel sous les différentes lumières du jour, images impressionnantes qu'il nous fait revivre en 3D au cours du spectacle. Cité minière de l'ère soviétique, le lieu aujourd'hui abandonné (il ne reste plus que le gardien) fut à son heure une incarnation de l'utopie socialiste plaçant l'ouvrier au sein d'une vie communautaire où tout est gratuit. Campo Santo est « une histoire de fantômes » prévient le compositeur, une capture d'ombres et de traces revisitées par l'imaginaire des deux artistes dans un décor de ruines dont rendent compte les très belles photos de Pierre Nouvel projetées en fond de scène.
Sur le plateau, deux sets de percussions à cour et à jardin et trois instrumentistes (flûte, accordéon et guitare électrique) interviennent en alternance avec des séquences habitées par les voix off et un environnement sonore projeté à travers les haut-parleurs. Échos de nature, sons bruités et objets trouvés – une partition laissée sur un vieux piano droit – constituent le matériau économe d'une musique aux textures fragiles et peu timbrées qu'aime écrire Combier. Dans ce contexte de ruines, le compositeur dit travailler avec le « rebut » : le sable en temps qu'effritement de la matière – il coule longuement sur une plaque résonnante – et la ferraille dont il a testé in situ la résistance. Au premier tiers du spectacle, les deux percussionnistes semblent restituer l'activité fiévreuse de la mine au cours d'un duo austère autant qu'étrange sur des cloches-plaques géantes. Ce sont les textes très/trop nombreux – Derrida, Calvino, Nietzsche, Marx, Rilke… – qui assurent une certaine trajectoire narrative à l'ensemble. Pour autant, même si l'on apprécie la qualité de cet art radiophonique jouant sur la diversité des langues, la lassitude s'instaure au fil d'un temps très long et d'une mélancolie – la vidéo des films d'archive d'Alexandre Naumkin – un rien appuyée. Notre enthousiasme par contre est sans réserve pour les très beaux solos accordés à la guitare de et l'accordéon microtonal de auquel s'ajoutent en surimpression les sons exogènes d'une partie électroacoustique.

La diversité joyeuse de Sound & vision au Théâtre des Amandiers

Les concerts A Liquid Room initiés par l'Ensemble belge Ictus sont « de petits festivals thématiques » nous dit son directeur artistique . Dans Sound & vision, programmé dans le cadre de au Théâtre des Amandiers, c'est le traitement de la lumière sur le corps musicien qui est à l'œuvre, donnant à voir ses multiples captures dans des contextes sonores sollicitant bien évidemment l'électricité. De petits tabourets de carton permettent aux spectateurs de modifier sotto voce leur position, chacun des douze numéros du spectacle offrant une disposition scénique singulière.

Le son résonne déjà dans la salle lorsqu'on y pénètre, avec le triangle d'Alvin Lucier et ses fluctuations de vitesse et de dynamique associés à la douce oscillation du tam-tam de James Tenney. Mais c'est avec la performance ludique autant que bruiteuse de (Ligtness pour trois musiciens avec allumettes, papier de verre, sable et eau) que son et lumière commencent à interagir sous le geste en relais des trois partenaires. Dans Light solo 1 et 2, l'énergie et les vibrations de la lumière via l'effet stroboscopique décomposent le geste de la danseuse et chorégraphe Ula Sickle dont la performance très extatique fascine le regard. De surprise en étonnement, le percussionniste Gerrit Nulens en solo exerce un geste quasi robotique sur son instrument dans 4cOst1ctr1g3r pour boîte à rythme et lumière de Kaj Duncan David, une oeuvre dont le titre ajoute à l'étrangeté du spectacle. Citons encore, dans cette manière ludique qui met tous les sens à l'affût, l'œuvre performance Sensate Focus où Alexander Schubert « écrit » l'image à l'égal du son, que sculpte à son tour l'électronique. L'idée de confronter dans un espace aussi turbulent des musiques intimistes comme celles de et semble relever du défi ! C'est sans compter avec la finesse de l'amplification qui capte les moindres détails et communique la charge émotive. Elle est à l'œuvre dans La lumière n'a pas de bras pour nous porter (Pesson) dont restitue avec autant d'élégance que d'énergie l'effet guiro (les ongles ou les doigts en glissando sur le clavier). Dans Tre Notturni Brillanti pour alto de Chiarrino, c'est un foisonnement de particules sonores microscopiques qui jaillit sous l'archet cursif de , au plus près du  « théâtre de l'intime » cher au compositeur italien. Exploitée dans toute sa capacité résonnante, la salle modulable des Amandiers s'avère l'espace de projection adéquat pour Digital, acmé sonore de la soirée. L'œuvre, écrite en 2003 par , réunit contrebasse, percussion et électronique. Elle prend des allures de « forge » gigantesque via « l'artisanat furieux » de et Gerrit Nulens relayé par l'électronique. La matière hybridée et incandescente traverse des temporalités très contrastées et donne à entendre le phénomène saturé dans la richesse de ses composantes et l'inouï de ses couleurs, avec cette puissance du geste compositionnel que Bedrossian aime exalter jusqu'à la transe.

Le spectacle a sa coda, se jouant en extérieur, après l'ouverture aussi théâtrale qu'inattendue d'une des grandes portes de la salle. Dans la lumière du jour finissant et l'émotion indicible du plein air, trois interprètes font tourner au-dessus de leur tête des petits haut-parleurs en un geste magnifié par la magie des lumières et de l'électronique. Speaker Swinging de Gordon Monahan vient donc boucler cette trajectoire virtuose, impeccablement conduite par les acteurs d'une soirée dont la qualité et la diversité joyeuse resteront dans les mémoires.

Crédits photographiques  : © Bertrand Couderc ; © Silvano Magnone

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