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Bartoli et Jaroussky transportent la salle Gaveau vers le Seicento italien

Cecila Bartoli et Philippe Jarrousky ensemble sur scène ! L'évènement ne pouvait se rater, d'autant qu'il préfigure d'autres rencontres enthousiasmantes à venir.

Deux artistes, deux voix, deux tempéraments aussi, qui trouvent ici à s'exprimer dans une symbiose complète au service d'un répertoire qui les éloigne des facilités de la seule virtuosité technique et que tous deux défendent ardemment. Dans la chaleur caniculaire de la salle Gaveau, le spectateur a sans doute été surpris que le temps passât si vite, mais en pareille compagnie, comment pouvait-il en être autrement ?

Commençons d'abord par le choix de la salle Gaveau. Il s'avère judicieux tant l'intimité de cette salle convient parfaitement aux voix des deux artistes dont le point fort n'est sans doute pas la projection, assez confidentielle. Ici, point besoin de forcer pour eux, et c'est tant mieux car débarrassés de cette contrainte, ils peuvent nuancer à plaisir. Elle convient également parfaitement au répertoire choisi qui nécessite intimisme et proximité avec le public pour insuffler cette langueur émotionnelle ou cette théâtralité festive qui lui est propre. Enfin, saluons l'originalité de la construction du programme qui échappe à la simple succession d'airs entrecoupés d'ouvertures. Les morceaux s'enchaînent sans pause, avec beaucoup de fluidité, jusqu'à susciter l'impression d'être devant une représentation d'un opéra en version de concert avec des rebondissements dramatiques, des changements de climats, aidés sans doute en cela par ce répertoire si particulier, où le récitatif cantando a autant d'importance mélodique que les arias.

Le prosaïsme voudrait que l'on compare la prestation des deux chanteurs, mais il ne sera point question de cela ici tant leur vision de la musique et de son service semble être commune. Toutefois, aborder ce répertoire n'est pas anodin, ni pour l'un, ni pour l'autre. se rapproche désormais progressivement de l'épure quand semble avoir muri au contact de ce répertoire qui lui permet de travailler son expressivité. Ce fut donc une rencontre à la croisée des chemins pour deux artistes inoubliables qui tout au long de la soirée ont su osciller avec élégance entre le pathos des lamenti, l'espièglerie des duetti et l'ardeur des grands airs de victoire et de fête.

nous rappelle qu'elle n'est pas qu'une machine à trille et vocalises. Le programme lui permet ici de déployer un chant épuré, dans un souffle qui semble infini. La voix est toujours aussi belle, aussi à l'aise dans le grave que dans l'aigu. On se pâme devant ses sons filés suspendus, étirés jusqu'aux silences les plus expressifs. On fond devant les implorations de Niobe (« Amami e vedrai » ) et le sublime « Si dolce è il tormento » de Monteverdi chantés dans un frémissement confidentiel et intime. On se transporte dans les fêtes du Seicento lorsque sa virtuosité coutumière revient dans le « A facile vittoria » de Steffani qui soulève l'assistance. Une fête vocale à l'image de ce répertoire si contrasté, entre simplicité et éblouissement.

Face à elle, semble avoir beaucoup évolué ces dernières années avec ce répertoire qu'il fréquente de plus en plus et qui nécessite de travailler la déclamation, la caractérisation et la prosodie. De fait, Jaroussky n'est plus ce simple chanteur à la voix angélique. Il semble avoir gagné en assurance et ne se contente plus de nous éblouir avec son timbre, aussi beau soit-il. En témoigne un « Ombra mai fu » du Xerse de Cavalli travaillé dans les moindres détails. Le chanteur y propose des évolutions de dynamiques, et les variations y apportent une description fouillée des passions humaines, si importantes à cette époque dans tous les domaines de l'art. Le chanteur nuance chaque intervention, cisèle son phrasé, entre des forte subito autoritaires qui contrastent avec ses piani élégiaques. Assurément, son point d'acmé restera le bouleversant air d'Idraspe extrait d'Erismena de Cavalli qui laisse le public pantois.

Derrière eux et avec eux l' les enveloppe d'un continuo langoureux et attentif. L'effectif réduit permet de valoriser chaque pupitre, des vents chaloupés aux violons festifs en passant par le tambour et les castagnettes.

Une atmosphère de fête régnait ce soir entre les artistes et le public, achevé par les deux rappels enthousiasmant de Monteverdi : le magnifique « Pur Ti miro » de l'Incoronazione di Poppea précédant le « Damigella tutta bella » des Scherzi Muscali tout en jeux de danses et d'éventails. Une fête à laquelle on aimerait participer plus souvent !

Crédits photographiques : © Sanja Harris – Decca / Uli Weber ; : © Warner / Simon Fowler

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