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À Saint-Denis, l’intensité de Jean Rondeau dans les variations Goldberg

met à son répertoire le monument de la musique pour clavecin seul de .

À trop se contenter des versions discographiques des Variations Goldberg, on en oublie la performance physique et intellectuelle que constitue l'enchaînement du célèbre Aria et de ses trente variations. Avec toutes les reprises, cette immersion dans une partition des plus exigeantes dure une bonne heure et demie. Pour son passage au festival de Saint-Denis, a justement choisi de les faire presque toutes. Il doit en outre remplir l'espace bien vaste de la chapelle de la Légion d'Honneur. Aidé en cela par un clavecin de concert particulièrement sonnant, il choisit également d'accoupler les deux claviers pour les variations à un clavier, faisant ainsi profiter l'auditoire d'un meilleur volume sonore.

Après un court prélude improvisé qui permet à chacun de rentrer dans le concert, fait résonner l'Aria avec beaucoup de sensibilité, et un grand soin pour différencier les lignes, décaler les mains avec recherche et orner aux reprises. Puis ce sont les variations, suffisamment riches en elles-mêmes pour que le claveciniste n'ait pas à en rajouter ou à rechercher l'originalité par rapport aux interprétations de référence. Les lignes sont claires, les canons sont bien mis en évidence. Et l'intelligence musicale de Jean Rondeau fait merveille dans cette partition qui, si on n'y prend garde, peut se voir réduite à un exercice digital de luxe. Remarquable est notamment sa capacité à préserver la pulsation et la respiration à travers les arabesques complexes, là où trop d'interprètes (notamment les pianistes), se laissant emporter par le contrepoint, ont tendance à dérouler un tapis musical trop uniforme.

Dans la deuxième variation, prise assez vite, les petits ralentis sont bienvenus, de même que le caractère faussement hésitant dans la quatrième ou l'opulence plutôt inhabituelle dans le canon à la seconde de la sixième. Jean Rondeau s'amuse dans les trilles et les triples croches de la quatorzième, et nous gratifie de beaux décalages dans l'Andante chantant de la quinzième. Là, après une courte pause qui permet à chacun de souffler, vient l'Ouverture, où le claveciniste, retrouvant la musique française qui lui sied si bien, apporte à la musique un supplément d'âme, animant encore davantage le discours et ornant avec spontanéité les reprises. La dix-neuvième variation, prise un peu rapidement, est cependant délicieusement chantante. Alors que la vingt-cinquième, marquée Adagio, représente un long moment de grâce suspendue, que Jean Rondeau conduit superbement de syncope en syncope. Les trois variations suivantes, très virtuoses, sont un peu moins bien maîtrisées, et donnent presque la sensation d'un emballement. Mais Jean Rondeau se reprend de fort belle manière dans la vingt-neuvième, très exigeante également, en faisant preuve d'une grande assurance, presque sans regarder la partition. Enfin, avec la trentième, posée et chantante, c'est le calme après la tempête, et le retour apaisant de l'Aria conclut un concert que Jean Rondeau, on le comprend et on l'en remercie, n'agrémente d'aucun bis.

Tout au long de la soirée, on apprécie également le procédé consistant, dans les variations à deux claviers, à changer les mains de clavier aux reprises. Ce qui modifie discrètement le timbre des voix, introduisant une petite modification, une légère irrégularité, tout à fait dans l'esprit du baroque. Ce discret artifice rehausse encore une soirée d'une beauté intense.

Crédit photographique : Jean Rondeau © FSD 2017

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