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Kader Belarbi jette l’ancre à Paris avec le Corsaire

signe une nouvelle version du Corsaire, issue de la tradition classique mais remaniée et mise au goût du jour. Des solistes virtuoses et des parties dansées renforcées donnent de la chair à un ballet dans lequel l'émotion n'est pas au rendez-vous.

Avec , aux commandes du depuis 2012, les choses changent. Remaniement de la troupe, nouvelles entrées au répertoire, nouvelles créations… et pour la première fois, le capitaine fait accoster son navire aux rives de la capitale. C'est avec la nouvelle version du Corsaire, qu'il a créée en 2013 pour sa compagnie, que part à la conquête du public parisien.
Le chorégraphe, qui a également remonté Giselle et Don Quichotte, s'attache à chorégraphier des ballets classiques d'aujourd'hui, comme il l'a expliqué à ResMusica en avril dernier. Pantomime désuète, intrigues à tiroir et gratuité sont jetées aux oubliettes. Pour Le Corsaire comme pour ses autres ballets, Belarbi s'est attelé à un travail en profondeur. Le ballet, créé en 1856 par Joseph Mazilier sur une musique d'Adolph Adam, était peu à peu tombé en désuétude par excès de rocambolesque et il n'en restait pratiquement plus que le célèbre pas de deux devenu pièce de gala et de concours.
Revenant aux sources du ballet, Belarbi s'est imprégné du délicieux parfum d'orientalisme qui émane du poème de Lord Byron et a étudié les différentes versions encore dansées aujourd'hui, notamment celles du Bolchoï et de l'American Ballet Theater. Il a revu le livret et enrichi la partition d'Adam de morceaux de , Édouard Lalo et .

Malheureusement, Kader Belarbi n'évite pas ici tous les écueils dont il souhaitait se débarrasser. Le premier acte manque de relief et d'accroche. L'intrigue, certes simplifiée, ne gagne pas forcément en clarté et en cohérence. Le pari de suggérer l'Orient sans tomber dans les clichés n'est qu'à moitié réussi. Si les costumes d'Olivier Bériot sont magnifiques, le décor – un arc outrepassé en papier blanc – ne permet pas de nous transporter, sans grand renfort d'imagination, dans la munificence des palais orientaux. Le deuxième acte, plus réussi, n'échappe pas à la gratuité que déplore tant Kader Belarbi. L'enchainement des morceaux de bravoure technique de la belle esclave et du Corsaire sur le navire n'a d'intérêt que par la qualité des interprètes mais ne font pas avancer l'intrigue et ne suscitent aucune émotion.

C'est là que le ballet pèche particulièrement : le manque d'émotion. Les personnages n'ont pas l'épaisseur dramatique nécessaire pour qu'une quelconque compassion, au sens propre de « souffrir avec », soit possible. L'histoire d'amour contrariée, les heurs et malheurs du Corsaire et de la belle esclave laissent froid. Les personnages secondaires, essentiels à l'enchaînement de l'histoire, sont peu développés. Le sultan, bien interprété par un Minoru Keneko au regard de braise, reste un rôle stéréotypé et sans nuance. Le personnage de la Favorite du Sultan que Belarbi a conçu comme pièce maîtresse de l'intrigue, révélant par jalousie au sultan l'idylle de la belle esclave et du Corsaire, aurait pu être complexe et intéressant. Elle reste malheureusement un personnage effacé, cantonné à un rôle de pantomime.
Enfin, impossible d'apprécier une partition musicale en l'absence d'orchestre et avec une bande-son de piètre qualité.

Tout le succès du ballet repose donc sur ses interprètes à qui Kader Belarbi a réservé des morceaux de bravoure d'une difficulté technique redoutable. Pour la Première, Belarbi a joué ses cartes maîtresses, dévoilant au public parisien sa nouvelle pépite, le jeune danseur cubain Ramiro Gómez Samón. À ses côtés, , danseuse russe formée à l'école du ballet de Kiev, interprète la belle esclave. Le deuxième acte regorge de virtuosités techniques qui permettent aux deux solistes de déployer tout leur talent. Gomez Samón, danseur nerveux et débordant d'énergie, est aussi à l'aise dans les pirouettes, aux réceptions moelleuses et sans bavures, que dans les sauts où il s'envole avec une dextérité désarmante. Mise à part une certaine fébrilité au début du ballet, se sort avec maestria des difficultés comme la série de fouettés où tours au genou alternent avec tours arabesques. Au-delà de la technique, elle interprète une belle esclave à la fois douce et sensuelle, grâce à un haut du corps très souple et délié. L'un des plus beaux passages est sans doute le fameux pas de deux du Corsaire et de la belle esclave. Remanié avec intelligence et parfaitement exécuté, c'est le seul moment du ballet où point l'émotion.

Si ce Corsaire réserve indéniablement de belles variations classiques, il manque encore quelques ingrédients pour le transformer en pleine et entière réussite.

Crédits photographiques : © David Herrero

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