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Enfin une édition digne d’œuvres sacrées et orchestrales de Nino Rota

Nous voici au cinquième volume (en deux CD) d'une anthologie qui fera date, et ce volume, apparemment, ne sera pas le dernier. Le maître d'œuvre de cette édition est le chef d'orchestre italien , entouré de musiciens particulièrement enthousiastes, et cela s'entend !

Passant sur l'infâme production italienne Déjà Vu Italie Recording Arts, il convient de respecter les diverses réalisations nettement plus sérieuses de chefs comme Marzio Conti (Chandos), Gianluigi Gelmetti (EMI Classics), Riccardo Muti (Sony Classical) ou Yannick Nézet-Séguin (Atma Classique) qui ont contribué au CD à la reconnaissance de (1911-1979) comme l'un des plus importants compositeurs italiens du XXe siècle. Toutefois, la vaste anthologie entreprise par , son Orchestre Symphonique Giuseppe Verdi de Milan et ses divers solistes et chœurs, fait office de première de qualité supérieure au disque. Une précédente chronique du volume 2 de cette anthologie nous en avait déjà vanté l'excellence : elle se confirme brillamment dans les deux réalisations sous rubrique.

Tout comme Bernard Herrmann (1911-1975), Miklós Rózsa (1907-1995) et autres Franz Waxman (1906-1967), (1911-1979) a composé tant pour le film que pour le concert, mais alors que pour le grand public, son œuvre pour le cinéma a plutôt occulté l'œuvre destinée au concert, ce qui distingue précisément Rota de ses illustres confrères, c'est l'ampleur de sa musique de concert : en fait, le compositeur milanais n'a jamais fait de distinction de valeur entre les destinations musicales de sa production, d'une spiritualité, d'une inventivité étonnamment riches et constantes.

C'est particulièrement vrai pour ce merveilleux Mysterium, capté en public et en première mondiale sous sa forme intégrale à l'Auditorium di Milano Fondazione Cariplo le 9 janvier 2015, œuvre principale de ce volume 4, le seul consacré à des œuvres chorales par opposition aux autres volumes purement orchestraux. Écrite en 1962, cette ample cantate pour quatre voix solistes, chœur d'enfants, chœur mixte et orchestre, basée sur un livret du compositeur, d'inspiration biblique, évoque l'admirable Requiem de Duruflé, notamment par sa propension à utiliser le chant grégorien. Le fait que l'interprétation en public de ait eu lieu deux jours après l'attentat islamiste contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015 à Paris, a dû en tant qu'hommage renforcer l'émotivité et la communion intensément méditatives et contemplatives de ce Mysterium sur la fraternité de l'humanité. La plupart des interprètes sont d'une ferveur et d'une pureté de jeu qui semblent avoir également envahi et exalté les autres pages vocales, si l'on excepte – mais c'est peu de chose – le vibrato parfois incontrôlé de l'une ou l'autre soprano soliste. Avec une mention particulière pour l'Oratorio pour voix d'enfants et orchestre Il Natale degli Innocenti, (Le Noël des Innocents, 1970), toutes ces œuvres sont de belles et passionnantes découvertes qui méritent d'avoir bien plus souvent leur place de choix au concert.

Les pages du volume 5 suivant nous emmènent sur des sentiers plus familiers, associées qu'elles sont à la production de Nino Rota pour le cinéma. Toutefois l'essentiel de ce volume 5 est l'adaptation de la musique pour La Strada (Federico Fellini, 1954) sous forme de ballet en un acte et douze tableaux, créé avec un accueil enthousiaste le 2 septembre 1966 à La Scala de Milan, ici restitué intégralement sous sa forme définitive (1978) en première mondiale. On reconnaîtra ici, parmi d'autres, les thèmes lancinants de La Strada et surtout de Gelsomina, ce dernier présenté notamment à la trompette solo. Ce ballet montre à l'évidence l'éclectisme, la versalité et l'habileté d'un musicien pouvant mélanger sans discontinuer musique populaire, grotesque, triste, de cirque, de danse, sans renier les dissonances judicieusement employées.

En écoutant la Sinfonia sopra una canzone d'amore (Symphonie sur une chanson d'amour, 1947) dans sa version définitive de 1972, on serait d'abord étonné qu'une œuvre aussi néoromantique ait été composée à cette époque, mais l'envoûtement opère dès les premières mesures de cette superbe véritable symphonie traditionnelle en quatre mouvements. Les auditeurs seront sans doute surpris d'y entendre les premières moutures de thèmes des films The Glass Mountain (La Montagne de Verre, Henry Cass, 1949) et surtout Il Gattopardo (Le Guépard, Luchino Visconti, 1962), preuve qu'au niveau qualitatif, Nino Rota ne faisait pas la moindre distinction entre musique de film et musique dite « sérieuse ». D'autre part, les cinéphiles se souviennent certainement du Casanova de Federico Fellini (1976) et de la prestation extraordinaire qu'y tenait Donald Sutherland dans le rôle-titre. Mais la musique n'y était pas en reste ! Elle trouve ici dans l'orchestration de Bruno Moretti sa juste mesure d'étrangeté, de mystère et d'intrigue, à laquelle on ne se dérobe pas.

Si malgré leur habileté, nous ne voyons pas vraiment ce que viennent faire ici, dans cette série générique d'œuvres orchestrales, les Sei variazioni e Tre suggestioni per clarinetto solo qui constituent Lo Spiritismo nella vecchia casa (1950), tous les musiciens concernés sont absolument du plus haut niveau et dignes d'éloge. Les volumes suivants de cette anthologie d'exception sont vraiment attendus avec impatience !

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