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Portrait du compositeur Bruno Giner chez Musicub

L'actualité est riche pour qui voit la sortie quasi simultanée d'un livre d'entretiens avec François Porcile aux éditions MF  et ce double CD monographique de musique de chambre couvrant quelques vingt sept années de création, de 1987 à 2014 : une manière de portrait du compositeur dont les sept œuvres à l'affiche, du solo au quatuor, dessinent les lignes de force d'une écriture en campant une personnalité et, oui, un style.

Ginérienne sans aucun doute est cette manière rageuse et un rien sauvage – on pense au Klavierstück IX de Stockhausen – avec laquelle le contrebassiste – inégalable Frédéric Stochl – alerte l'oreille dans Kern et nous focalise, dès les premières minutes de cet enregistrement, sur la matière sonore, au départ de son exploration. Cette scansion rythmique insistante traverse l'ensemble des œuvres du corpus, dans ses variations de timbre (Ten) ou de registre (Équis). Si la tension est exacerbée au sein de ces deux partitions – dans les solos subversifs du violoncelle de (Ten) ou les slaps ricochant dans le quatuor de saxophones, la coda sera le lieu de la fragilité et du mystère exprimés au bord du silence. Le courant énergétique passe également dans le début de « K » (comme Kafka) où les deux flûtes à bec, explosives et jubilatoires, inscrivent leurs traits fusées sur la nappe sonore de l'électroacoustique. C'est la seule œuvre mixte, la plus ancienne d'ailleurs (1987) de cet album, écrite sur les machines du GRM – où l'écriture instrumentale infiltre les morphologies de la « musique de studio » : sons percussifs, sons craqués, son + voix, sons de bec… L'invention qui préside au traitement de ces deux instruments ductiles force l'admiration !

Paradoxalement, ce n'est pas dans les œuvres pour percussions (deux dans ce double CD) que la musique « percute » le plus. Yoshihisa (in memoriam), tombeau du compositeur et ami japonais , convoque le marimba auquel Giner associe sporadiquement la grosse caisse et la cymbale charleston. Économie du matériau et spéculation (faisant appel à l'alphabet morse) génère une musique de l'épure et du mystère – entre vibration de la lame de bois et sifflement de l'interprète – où le silence participe de la trajectoire temporelle. Dans Rauxa (Excès en catalan), une œuvre aussi riche que concise pour accordéon et deux percussions, c'est la partie centrale qui retient toute notre attention, par le jeu des correspondances subtiles entre les timbres et les textures des deux sources sonores. Proche des fréquences électroniques dans le suraigu de son registre, l'accordéon – – fibre l'espace tel un sheng chinois, « respire » ou percute à son tour sous l'effet du below shake et autres modes de jeu obtenus avec le soufflet.

En espagnol cette fois – rappelons les origines ibériques du compositeur – Ambos signifie « les deux ensemble » ; d'une seule voix (complices Jacques Deleplancque et Jean-Pierre Bouchard) dirions-nous pour cette pièce superbe à deux cors, commande du CNSM pour le concours de 2013. Si l'œuvre débute haut et fort, l'écriture tout en finesse des deux cuivres doux instaure un théâtre de sons évoquant la manière aperghienne. Entre homophonie et jeu de l'ombre double, l'usage de sourdines multiples sculpte le timbre dans ses nuances différentielles : une « collection de timbres » pour reprendre les termes de qui signe d'une plume alerte la notice de ce double CD d'une richesse étonnante.

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