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La suite du cycle symphonique exigeant de Per Nørgård

La paraphrase évoquant la réalité des compositions symphoniques volcaniques dont le cratère en fusion donne sa coloration au style de vaut pour les quatre premières symphonies du compositeur, mais également pour les quatre derniers volets symphoniques du maître danois, aujourd'hui âgé de 85 ans.

La Symphonie n°5, l'énigmatique

La Symphonie n° 5, commandée par la Radiodiffusion danoise en 1986, occupa le compositeur jusqu'en 1990. Lors de sa création mondiale le 6 décembre de cette année, à la tête de l'Orchestre national symphonique danois, le chef d'orchestre de la soirée était le fameux Esa-Pekka Salonen pour qui a dédié cette œuvre. Après ce concert, le compositeur apporta quelques modifications assez mineures à cette partition composée d'un unique et monumental mouvement d'environ 35 minutes.

Œuvre réputée énigmatique, cette symphonie est une synthèse majeure de son évolution créatrice depuis la période Wölfli, faite d'expansion et rétraction du temps et de sa perception, d'habileté narrative également. Il y emploie des micro-intervalles et de formidables arpèges orchestraux,  dramatiques et décapants, que l'on apprécie pour la première fois dans sa musique. Il fait entendre plus que jamais les cloches tubulaires, également des rythmes proches du rock mais revisités, des rêveries apaisées de type New Age sans jamais les reproduire stérilement. Le sous-mouvement que l'on peut repérer au début rappelle, sans le citer,  le premier mouvement de la Symphonie n° 3, tandis que celui perçu vers la fin évoque les ultimes mesures de sa Symphonie n° 1.

« Nørgård  est le plus grand symphoniste de notre temps. » ()

La Symphonie n°6, quand tout est dit et accompli

Nørgård composa sa  Symphonie n° 6, At the End of the Day, en 1998-99. Dédiée à la femme du compositeur, elle est présentée comme « 3 passages pour grand orchestre » correspondant à trois mouvements (Moderato, Lentissimo, Allegro energico). Destinée à célébrer le nouveau millénaire, elle résulte d'une commande conjointe de l'Orchestre symphonique national danois, de l'Orchestre symphonique de Göteborg et du Philharmonique d'Oslo. Elle sera ainsi la première œuvre danoise interprétée en 2000 en retentissant le 6 janvier lors du premier concert de la Série du jeudi de l'Orchestre national danois. L'exécution placée sous la direction de Kaare Hansen, enflamma littéralement les spectateurs. La réaction fut tout aussi enthousiaste lorsque le chef danois la conduisit le 15 novembre de la même année. Elle subit ensuite une révision.

Cette symphonie représente un cas exceptionnel de complexité, de contrôle de l'anarchie, du tumulte organisé… et de renouvellement créateur : « il y a toujours quelque chose de plus – à  la fin du jour il y a  toujours un nouveau jour à venir. Ma symphonie débute très haut dans l'aigu, avec des vagues de tonalités  – flûte, cordes et autres – mais se rendant de plus en plus près vers les passages de basse. Et ensuite en un seul mouvement toutes les basses s'expriment ensemble. »

L'orchestre très fourni comprenait en plus de l'effectif traditionnel abondant et renforcé (4 cors anglais par exemple), un nombre important d'instruments à vent graves dont une clarinette contrebasse, une trompette basse, un trombone basse, un trombone contrebasse et un tuba contrebasse. Ce choix d'instruments très graves et profonds n'obère pas une réelle fluidité et transparence : il octroie à la musique une coloration tout à fait particulière mais non sur-dominatrice. Au-dessus, des mélodies indépendantes et singulières se forment. Les métamorphoses de l'ensemble constituent des strates sonores inouïes qui toutefois n'entament en rien à la cohésion de l'œuvre. La maîtrise et la pratique de la série infinie ne sont pas abandonnées. Une fois encore, sa conception d'un espace-timbre rend compte d'effets spectaculaires. Le jeu des sonorités, des échos, des fanfares, des changements de rythmes, des tempéraments confrontés,  des exacerbations, des répétitions, des simultanéités de pupitres, des passages du grave ténébreux aux aigus lumineux, des fantaisies chromatiques, des nuances timbriques inusitées, des vagues successives variées et cumulatives… et enfin  la survenue en toute fin d'un battement bref de la grosse caisse. Manifestement à ses yeux, la basse doit quitter son rôle de simple accompagnateur.

La Symphonie n°7, puissance et imagination fructueuses

Avant- dernière escale symphonique de ce cycle en tous points singulier : la  Symphonie n° 7  élaborée entre 2004 et 2006 pour l'inauguration de la nouvelle salle de concert de la Radio danoise à Ørestad le 29 janvier 2009. Per Erik Veng, ancien directeur du chœur et de l'orchestre de la Radio danoise (1988-2007), en a reçu la dédicace. Une forme d'adieu aux mondes anciens, une ouverture sur de nouveaux aspects de type surréaliste, des épisodes de pseudo-rêves, des humeurs sauvages et des réminiscences d'esthétiques permettent de dresser pour certains dans cette partition, un parallèle avec les œuvres de Dali et de Max Ernst.

Cette symphonie confirme une imagination fructueuse et affiche une énorme puissance ainsi que des sonorités surréelles faites de sirènes, de sifflements, de machine à vent et de sons d'oiseaux agrémentées d'explosions de cuivres et d'éclats tourbillonnants aux cordes, puis des phases de silence. Musique aux allures chaotiques, imprévisibles, faite de figures orageuses, de phases de déperdition, elle évoque un cheminement dramatique. Le compositeur utilise 14 tom-tom qui se  manifestent aux extrémités du premier mouvement et à la fin du troisième et dernier mouvement. L'ensemble produit des effets acoustiques tout à fait particuliers, des effets de sonorités rarement rencontrés, des impulsions nombreuses et infréquentées, des poussées éruptives impressionnantes à travers un grand nombre d'épisodes enchaînés.

« Je ressens chacune de mes symphonies comme un monde complet. » ()

La Symphonie n°8, subtile et pleine de surprises

La Symphonie n° 8, la dernière à ce jour sur laquelle Nørgård travailla en 2010 et 2011, a été créée le 19 septembre 2012 au Centre de musique d'Helsinki. L'Orchestre philharmonique de la ville était dirigé par un des grands spécialistes de Per Nørgård,  le chef finlandais , également dédicataire. L'orchestre et le chef en avaient passé conjointement commande au compositeur. Sa rigueur intellectuelle, l'urgence de l'écriture, la diversité des expressions, la stratification du temps impressionnèrent. Composée plus d'un demi-siècle après la Sinfonia austera, elle plût par sa subtilité, sa coloration et ses fréquentes surprises. Cette dernière partition symphonique affiche un caractère plus espiègle et brillant, plus transparent également, que les précédentes. Globalement, on peut avancer qu'elle revêt une allure plus classique avec ses trois mouvements distincts de type vif-lent-vif.

Le premier mouvement  dispense des échelles montantes et descendantes, scintillantes, un riche canevas de sonorités multiples, des passages quasi concertants (4 flûtes d'une part ; célesta-piano-vibraphone-glockenspiel de l'autre). Si le mouvement suivant est « sensuellement mélodique » selon le compositeur lui-même, le dernier mouvement, sans repos et tout à fait polyvalent, résume ce qui a précédé et surprend dans une section extatique et transitoire Lento visionario.

A l'écoute de ce cycle passionnant, nous ne pouvons qu'acquiescer au propos de Per Nørgård : « Chacune de mes symphonies possède sa propre personnalité, qui ne saurait- être répétée.»

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