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Les Vêpres de la Vierge à Rocamadour, les Sacqueboutiers dans leur élément

C'est selon son enthousiasme coutumier qu'avec des solistes issus du conservatoire de Toulouse, l'ensemble polyphonique et ses Sacqueboutiers ont interprété l'œuvre fétiche de leur chef , pour la première fois à la Basilique Saint-Sauveur de Rocamadour.

En cette année 2017 où l'on célèbre le 450e anniversaire de la naissance de Claudio Monteverdi, il est joué un peu partout en France et en Europe, tant ses madrigaux géniaux que les trois opéras qui nous sont parvenus, ou que sa musique sacrée, dont les Vêpres de la Vierge sont un monument incontournable. On les aura beaucoup entendues cet été et ce n'est pas dommage tant cette œuvre, au sujet de laquelle les musicologues débattent toujours quant à son ordonnancement, est d'une richesse et d'une densité extraordinaire. Voici plus de cinquante ans qu'elle est jouée régulièrement et, malgré la difficulté de ces quatorze psaumes, hymnes, antiennes, motets, ritournelles, concertos vocaux et sonate, les musiciens s'y délectent et son succès ne se dément pas. Si Monteverdi n'a pas obtenu le poste qu'il espérait à la Basilique Saint-Pierre de Rome en dédiant en 1610 ce chef-d'œuvre moderne, assorti de la Missa in Illo tempore en stile antico, au Pape Paul V Borghèse, ses Vêpres auront conquis une notoriété mondiale, surtout au XXe siècle, alors que la mémoire du Pontife ne parle qu'aux spécialistes de l'histoire de l'Église.

Aux sources du baroque

Tournant le dos à plusieurs siècles de polyphonie complexe, l'ouvrage privilégie un nouveau rapport à la voix soliste et aux instruments. Elle brise les conventions de la musique religieuse en puisant dans les tournures de l'opéra naissant ou dans les musiques spatialisées de l'école vénitienne. Dès l'acclamation initiale Deus in adjutorium à laquelle répond par trois fois la fameuse Toccata instrumentale de l'Orfeo, on ne peut rêver plus belle alliance entre musique d'opéra et musique sacrée.

Quoi de plus naturel que de chanter ces Vêpres à la Vierge le jour de l'Assomption au sanctuaire marial de Rocamadour, au cœur du festival de musique sacrée qui s'y déroule en août depuis 2006 ? On se demande d'ailleurs pourquoi une date si tardive tant les chants des pèlerins résonnent encore en ce lieu magique depuis le Moyen Âge et le souvenir de Francis Poulenc, qui y recouvra la foi en 1935 et composa ses Litanies à la Vierge noire, y est vif. Sous l'impulsion du recteur du sanctuaire, le père Ronan de Gouvello, une équipe de jeunes musiciens passionnés autour d'Emmerand Rollin et Christopher Gibert s'est lancée dans l'aventure, invitant de grands interprètes, de jeunes artistes et favorisant la création. Cette dynamique locale a même permis la construction d'un orgue neuf par le facteur Jean Daldosso, inauguré en novembre 2013, ainsi que la constitution d'un ensemble vocal baroque La Pellegrina.

Au service d'un chef-d'œuvre

C'est un défi musical, car l'ouvrage conçu pour Saint-Pierre de Rome, qui a sans doute résonné à Saint-Marc de Venise, se trouve à l'étroit dans cette Basilique à deux nefs et trois travées, taillée dans le roc. L'acoustique s'avère satisfaisante, mais l'imposant pilier central la modifie quelque peu et occulte une partie du chœur et de l'orchestre mêlant cordes et vents, divisés chacun en deux chœurs, dont un de solistes, ainsi que le chef. Ce dernier aspect ne saurait gêner la modestie de , qui, près de la trois centième exécution de ce chef-d'œuvre, s'efface derrière la partition et les solistes. Il parvient à établir un bel équilibre des voix selon un rythme soutenu, ainsi que la spatialisation requise autant que le permet l'édifice. Les répons en écho du ténor dans l'Audi Coelum, depuis la tribune de l'orgue, surprennent toutefois le public.

Les moments grandioses sont nombreux dans cette partition sublime où l'on retiendra le Nigra Sum en apesanteur par le contre-ténor Yann Rolland, le formidable duo de sopranos du Pulchra es ainsi que l'extraordinaire trio de ténors dans le Duo Seraphim, sans oublier la fantastique Sonata sopra Sancta Maria où le cornet dialogue avec la soprano et le chœur, l'ensemble culminant dans un somptueux Magnificat à 7 voix où Monteverdi développe toute sa science musicale.

Le tutti du double chœur et de l'orchestre avec cornets et sacqueboutes développe toutefois un volume sonore imposant, frisant parfois la saturation pour l'espace relativement réduit de la Basilique amadourienne. Cela n'a pas empêché le public nombreux de faire un triomphe aux souffleurs toulousains, à l'orchestre et aux deux chœurs réunis pour l'occasion.

Crédits photographiques : © Louis Nespoulos

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