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Berlioz et l’Angleterre : une thématique fertile pour l’édition 2017

aimait voyager et c'est à l'étranger que cet exalté passionné a rencontré le plus vif succès. Pour l'édition 2017 du Festival Berlioz, , directeur érudit autant qu'imaginatif, fait revivre notre héros romantique à travers ses différents voyages à Londres (de 1847 à 1855) au temps des expositions universelles : compositeur, chef d'orchestre, homme de plume et découvreur insatiable sont autant de facettes berlioziennes qui vont nourrir l'affiche de cette 24ᵉ édition où chefs et formations anglais sont invités, témoignant du lien privilégié qu'ont tissé les interprètes d'outre Manche avec la musique du « plus anglais des compositeurs français ».

Shakespeare for ever

Après une ouverture festive – Welcome to all the pleasures – du célèbre King's Consort dans l'église de Saint-Antoine-l'Abbaye, on entre dans le vif du sujet avec « Le concert shakespearien imaginé par Berlioz », une soirée placée sous le signe de la démesure que le compositeur aura rêvée et que le festival concrétise sous la structure neuve du Château Louis XI de la Côte-Saint-André. L'affiche est dense et l'orchestre pléthorique – les flûtes par six ! – est celui du (JOEHB) jouant sur instruments du XIXᵉ siècle. Ils ont travaillé en amont avec les musiciens Des Siècles qui les encadrent ce soir et jouent tous sous la direction du très berliozien , un chef qui a sous sa baguette l'intégrale de la musique orchestrale du compositeur ! Sont également sur la scène les chœurs – Spirito, Jeune chœur symphonique, Chœur d'oratorio de Lyon – et prêtant sa voix sonore et profonde aux textes de Berlioz et de Shakespeare dont l'œuvre infiltre toutes les pièces du programme… exceptées ces chansons de la Renaissance anglaise que le chœur a cappella, sur le devant de la scène, interprète avec beaucoup d'élan et de fraicheur sous le geste aussi sobre que précis de . Rarement données, les pages orchestrales et chorales de Berlioz relèvent du geste de cet orchestrateur de génie au service de l'expression et du drame sous-jacent : éloquence et souffle mélodique dans la Grande ouverture du Roi Lear, trouvailles sonores et textures inouïes dans la Fantaisie sur La Tempête de Shakespeare, extrait du trop rare Lélio ou le retour à la vie que Berlioz écrit à Rome après la « Fantastique ». Inégalable dans ces pages foisonnantes, insuffle énergie et souplesse à un orchestre étonnamment réactif. La Mort d'Ophélie pour chœur et orchestre est un des sommets de la soirée, l'élocution exemplaire du chœur valorisant la séduction de la ligne berliozienne. Saisissante également, sur les longues tenues du chœur, est la Marche funèbre pour la dernière scène d'Hamlet, une page aux silences abyssaux incluant de beaux effets de spatialisation. Somptuosité des cuivres et lyrisme éperdu dans les extraits de Roméo et Juliette dont on regrette toutefois l'absence du « Convoi funèbre ». C'est , sorte de coryphée guidant musiciens et auditeurs, qui ponctue cette soirée « pleine de bruit et de fureur » avec les mots de Shakespeare (célèbre tirade de Macbeth) : « La vie n'est qu'une ombre qui passe […] ») citée par Berlioz au début et à la fin de ses Mémoires.

Sous la baguette d'Hector à l'Exeter Hall

Le concert du lendemain est tout aussi ambitieux, s'intéressant cette fois au chef d'orchestre que fut Berlioz, invité par Jullien à diriger une série de six concerts à l'Exeter Hall de Londres en 1852. L'affiche un rien excentrique (deux ouvertures, deux concertos…) rassemble sept œuvres de compositeurs que Berlioz entendait défendre en tant que chef : Beethoven en premier lieu mais aussi Mozart, Weber Mendelssohn… Un défi que l' sous la direction de son chef relève avec panache, enjambant les styles et les époques avec une aisance remarquable. Après l'ouverture de La Flûte enchantée, enlevée et bien sonnante, celle de Léonore II de Beethoven frappe par l'intensité dramatique qui ressort de l'interprétation. Le triple concerto du maître de Bonn – une formation qui devait plaire à Berlioz – réunit ce soir trois interprètes complices, qui vont donner, durant le festival, une intégrale des trios avec piano de Beethoven. On apprécie d'entrée la sonorité du piano de , beethovénien dans l'âme, et le violoncelle très solaire de qui enchante le mouvement lent. Le Finale, qui ne va pas sans longueur, est rondement mené sous la conduite exemplaire de . Avec Haendel, en seconde partie (ouverture de Giulio Cesare in Egitto), les archets sont allégés et la phrase dûment articulée, la preuve que la question du style n'est pas qu'affaire d'instruments d'époque. La toute jeune mezzo-soprano est sur le devant de la scène pour l'air de Sesto du même opéra : voix longue et joliment timbrée qui révèle un caractère de feu. On la retrouve dans La Danza (Tarentella napolitana, version Carl Stueber), célèbre et enivrante chanson de Rossini où elle confirme un talent scénique très prometteur. On sait l'amour que Berlioz portait à la musique de Weber, notamment à son Freischütz dont il écrira les récitatifs. A Londres, lorsque Berlioz dirige son Konzerstück en fa mineur, c'est Camille Moke Pleyel – son ex-fiancée – qui est au piano, l'occasion rêvée pour ce sanguin de se venger… C'est sous les doigts de que l'œuvre est donnée ce soir, une musique à programme dont l'écriture est davantage prétexte à faire briller la soliste. La Marche nuptiale de Félix Mendelssohn, extraite du Songe d'une nuit d'été, laisse enfin planer l'ombre de Shakespeare sous le patronage duquel Berlioz a placé tout son oeuvre.

Des rendez-vous incontournables

Pour la première fois dans l'histoire du festival, le Musée (Maison) Hector-Berlioz de La Côte-Saint-André relaie la thématique de cette 24ᵉ édition avec une exposition passionnante. Si Saxhorns, saxophones et autres cuivres zoomorphes figurent derrière les vitrines de l'exposition, ils sont également joués « sous le balcon d'Hector », chaque soir, lors de sérénades un peu musclées qu'anime le formidable et jeune quintette à vent Nulla dies sine musica. C'est Guy Estimbre, un des leader du groupe, au micro pour nous présenter les instruments, qui a fait les arrangements de la majorité des œuvres au programme, permettant d'apprécier, en plein-air qui plus est, le nuancier de couleurs offert par ces beaux cuivres doux – saxhorns, serpent bugle, buccin… – qui résonnent dans l'air du soir.

et son ensemble

On retrouve , invité d'honneur du festival – à l'instar de John Eliot Gardiner et son Orchestre romantique et révolutionnaire – lors de deux concerts donnés en petite formation. Dans l'église de Marnans, d'abord, l'ensemble célèbre « the Vauxhall Gardens », un espace de divertissement sur les rives de la Tamise pour lequel Haendel a écrit une Suite. Trompette et hautbois solaires dialoguent ici avec les cordes dans cette musique de plein-air. Au centre et à son clavecin, , complice, insuffle l'énergie et règle les dynamiques avec une justesse stylistique qui enchante. Aux côtés de Haendel, Albinoni et Purcell – Sonata redoutable donnant la vedette à la trompette de Neil Brough – figurent des compositeurs anglais peu connus mais non moins prolifiques tels que Thomas Augustin Arne et William Boyce dont la merveilleuse soprano chante plusieurs airs. Voix aussi lumineuse qu'agile, la soprano est à l'aise dans tous les registres et affetti, des colorations virtuoses (Mio caro bene) aux accents les plus dramatiques (Piangerò la sorte mia), attendrissante dans Tell me, lovely shepered et d'une énergie galvanisante dans Rule, Britannia ! La technique est sans faille et la séduction du timbre toujours à l'œuvre.

On la retrouve le lendemain dans l'église de La Côte-Saint-André avec le King's consort – cordes et deux hautbois – dans un programme plus dramatique et rare, confrontant Haendel (oratorios et motet) à ses confrères italiens, Vivaldi, Albinoni et Geminiani, fréquemment joués à Londres. Alternent avec un équilibre bien senti oeuvres instrumentales et pages lyriques mettant en scène plusieurs figures bibliques féminines (Esther, Theodora, Deborah et Athalia) peuplant les oratorios de Haendel. Après le concerto de Vivaldi d'un élan aérien et le concerto pour hautbois d'Albinoni – vaillante Rachel Chaplin – le Concerto grosso de Géminiani se démarque par son intensité soutenue et ses textures « oiseau » très originales. La voix de voyage quant à elle entre déploration (With darkness deep) et airs de bravoure ou de fureur (My vengeance awakes me) assumant ces « célestes tempêtes » haendéliennes avec une égale assurance et une énergie à toute épreuve. Le concert se termine en beauté avec le motet latin Silete venti du maître de Londres dont les airs concertants et leurs superbes lignes mélodiques rivalisent avec ceux du Cantor de Leipzig. En revanche l'Alléluia final, défiant les capacités de la soprano par son insolente virtuosité, ne peut renier son auteur !

Crédits photographiques : © Festival Berlioz

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