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Voyage entre Orient et Occident au festival de Sablé

Après l'exotisme imaginaire et fantasque du Don Quichotte chez la Duchesse de Boismortier par Hervé Niquet et des Benizio, qui a fait office de soirée d'ouverture pour le festival baroque de Sablé, la première journée des festivaliers s'inscrit pleinement dans la thématique de cette nouvelle édition : l'Orientalisme dans l'art baroque.

Le festival de Sablé détient un « noyau dur » conséquent de spectateurs très assidus, preuve de la qualité et de la cohérence des activités habituellement proposées durant cette semaine dédiée à la danse, au théâtre et à la musique baroques. De la conférence du matin consacrée au féminin dans l'Orient Baroque, jusqu'à la soirée entre Orient-Occident avec l' de , sans oublier le déjeuner sur l'herbe autour d'Hervé Niquet et Héloïse Gaillard qui compte pas moins de 75 participants (bel exploit pour un mercredi midi !) et les deux concerts de l'après-midi dont tous deux se sont presque joués à guichets fermés, cette première journée annonce une belle semaine à Sablé-sur-Sarthe.

Le salon exotique de l'ensemble

Dès le milieu du XVIIe siècle et tout au long du siècle des Lumières, ce sont dans les salons parisiens et non plus à la Cour que foisonne la vie intellectuelle. Véritables tremplins pour les artistes, les salons où l'art de la conversation se mêle à la danse galante, au théâtre et à la musique en formation de chambre, se révèlent inspirateurs des idées nouvelles. Naturellement, la fascination pour les contrées lointaines et ce qu'on nomme à l'époque le « sauvage », font l'objet de nombreux divertissements artistiques que l'ensemble fait revivre autour du premier mouvement du Concerto comique n°XXV de Michel Corrette intitulé « Les Sauvages » et la Suite Les Nations TWV 55:B5 de Telemann qui évoque notamment Turcs et Moscovites.

Dès les premières notes des Caractères de la danse de , la jeune violoniste à la direction, démontre un jeu énergique et une grande technicité. Cette énergie, constante tout au long du concert, reste toutefois à calibrer en raison de coups d'archets souvent un peu trop mordants et d'un manque d'équilibre avec le traverso de Mathilde Horcholle. La symbiose entre les quatre artistes doit ainsi encore se construire, notamment dans la Suite de Telemann, le violon laissant peu de place à la ligne mélodique de la violiste Mathilde Vialle, même si avec l'air de Baccantes du Huitième Concert dans le goût théâtral de , et le claveciniste Matthieu Boutineau sont d'une implacable précision dans les passages les plus virtuoses.

Les grandes héroïnes orientales de l'ensemble

Intéressante programmation que celle de à la tête de l'ensemble qui nous fait voyager « sur les rives de Judée » avec l'Armide de Lully, « sur les rives de Colchide » avec la Thésée d'Hippolyte et Aricie de Rameau et avec Médée de la Cantate pour voix, un dessus et la basse continue de Clérambault. Sans oublier « sur les rives d'Abydos » avec Le Carnaval de Venise d', ville au carrefour des routes méditerranéennes à la porte de l'Orient. Au sein de cet ensemble, nous apprécions aujourd'hui plus particulièrement la guitare baroque de Quito Gato dans la bourrée de Campra, le jeu du violiste Ronald Martin Alonso dans la Forlane de ce même compositeur, et la virtuosité du violoniste Anthony Marini dans la Cantate de Clérambault, même si le reste de la formation ne démérite pas un seul instant.

Forts d'une projection sans faille, les deux jeunes chanteurs se révèlent d'une belle prestance tout au long de leur prestation : déployant notamment des qualités de tragédienne dans l'air d'Isabelle Mes yeux, fermez-vous à jamais (Le Carnaval de Venise, Acte III, scène 5) alors que porte les soupirs amoureux de Léandre et les facéties de Carnaval avec justesse et une formidable ardeur, faisant même sursauter certaines spectatrices lorsqu'il déambule dans le public paré de son masque chinois. Les belles basses en fin de phrases du baryton-basse dans L'hyver a beau s'armer d'aquilons furieux (Carnaval de Venise) répondent aux savoureuses vocalises de la mezzo-soprano dans la Cantate de Clérambault, même si la fureur manque un peu de tempérament à certains moments pour cette dernière (« Servez ma colère fatale »).

7  jours après, le Catalan continue à rassembler le monde en musique

Une semaine après les attentats en Catalogne, nous retrouvons le célèbre chef d'orchestre baroque dont nous apprécions encore le travail il y a quelques semaines à Salzbourg autour des Vêpres de la Vierge de Monteverdi, avec son projet autour de la culture méditerranéenne, cherchant ainsi à démontrer les liens artistiques entre musiques populaires et savantes de cultures chrétiennes, juives et musulmanes venues de Bulgarie, d'Israël, de France, d'Istanbul, de Chypre, de Roumanie, de Grèce, du Maroc et de bien d'autres pays dont les 9 musiciens sur scène se révèlent être les dignes représentants, comme dans le récent projet sur Venise. Il faut bien avouer qu'en tant que non spécialiste, ces répertoires dont « les sources culturelles se rejoignent » nous paraissent bien linéaires. Mais alors que l'austérité des instrumentistes renforce cette impression, l'on perçoit également toute la charge affective de cette musique imprégnée d'une Histoire forte, notamment grâce aux modulations vocales de Katerina Papadopoulou, Lior Elmaleh et , reflets des mystères de l'âme humaine, se situant bien au-delà d'un message purement linguistique.

Parce que la générosité de l'amène à formuler une pensée pour les victimes des événements qui se sont déroulés dans sa région natale, sans oublier le message de solidarité envers les réfugiés pour qui la Méditerranée est source d'espoir mais aussi de mort (le musicien a d'ailleurs récemment lancé un formidable projet nommé Orpheus XXI au profit des musiciens réfugiés), cette soirée a une saveur toute particulière, le rapport entre l'Orient et l'Occident étant bien différent aujourd'hui qu'à l'époque baroque. Et si c'était essentiellement les échanges culturels certainement pleins de richesses qui pouvaient rassembler les peuples ?

Crédits photographiques : et © Charles Plumey ; Jordi Savall – Hespèrion XXI / Orient-Occident
© Hespèrion XXI

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