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Yo-Yo Ma, Chris Thile et Edgar Meyer en trio dans Bach

Les trois compères , et se croisent et se recroisent dans le monde de la musique, classique, world ou country bluegrass depuis plus de vingt ans. Quelques années après un très folk Goat Road sessions (Sony) les voici à nouveau réunis autour d'un projet (trop ?) respectueux autour de diverses compositions en trio, aux destinations variables, de . Un disque un peu inabouti et malheureusement oblitéré par un en petite forme.

Le mandoliniste est aux États-Unis une véritable vedette : il dispose, en dehors de la pratique de la musique country, d'une très solide formation classique et d'une grande curiosité d'esprit. Il a ainsi, il y a une dizaine d'années, proposé pour le label Nonesuch une adaptation assez réussie pour son instrument des sonates et partitas pour violon seul de , ce bien avant donc que, par exemple, Deutsche Grammophon ne « signe » l'extraordinaire mandoliniste israélien Avi Avital ; sa démarche est donc bel et bien originale.

, très sollicité aussi sur la scène folk ou bluegrass, est un contrebassiste arrangeur et compositeur polystyliste très à l'aise dans le monde classique : il a collaboré, voici vingt ans, à un splendide enregistrement du quintette « la Truite » de Schubert avec entre autres Emmanuel Ax et…Yo-Yo  Ma (Sony). Il a aussi composé, entre autres, un concerto de violon, un peu bavard, entre minimalisme et racines folk, pour Hilary Hahn (Sony). que l'on sait très avide de musiques du monde depuis son projet «Silk-Road» mené voici vingt ans, a croisé naturellement et à de multiples reprises ses deux partenaires et amis avant de concocter le présent enregistrement, sorte de retour à Bach.

Le projet qui nous occupe se veut in fine très respectueux vis-à-vis des textes originaux. Il s'agit de transcriptions faites par nos artistes, proches plus de la lettre que de l'esprit d'œuvres sacrées ou profanes, ludiques théoriques ou didactiques du Cantor de Leipzig .
L'adaptation de la Sonate n° 6 en trio pour orgue (où la mandoline tient la partie de « main droite » de l'organiste et Yo-Yo Ma la « gauche »), ou celle de la Sonate n° 3 pour gambe (partie tenue par Yo-Yo Ma au violoncelle), conçue elle aussi dans un esprit de trio : tient donc le second dessus, glissé originellement dans la main droite du claveciniste par . Toutefois l'équilibre entre les voix est ici assez précaire et délicat et  l'absence de tout clavier au continuo prive ces œuvres de la masse harmonique présupposée, malgré toute l'habileté d', très impliqué et virtuose, à remplir l'espace sonore et à dialoguer avec ses partenaires.

Les quatre chorals ici retenus quittent ici définitivement la sphère sacrée avec ces arrangements profanes parfois un peu kitsch (Choral du veilleur BWV 645, ou Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ BWV 639) voire très proche de l'esprit d'une variété de goût plus douteux par exemple dans Erbam dich mein, o Herre Gott BWV 721, où Thile troque sa mandoline pour la guitare dans une ambiance digne d'une veillée scout…

De sorte que l'attention du mélomane plus chevronné sera mise d'avantage en éveil au fil des œuvres plus abstraites (les deux versions rectus et inversus du contrepoint XIII de l'Art de la Fugue, sans destination instrumentale explicite, et ici admirablement tracées et défendues) ou dans les adaptations plus aventureuses, par exemple la fugue en la mineur du Clavier bien tempéré II d'une approche très tranchée, et surtout le grandiose prélude et fugue en mi mineur BWV 548, oeuvre de grande maturité destinée à l'orgue, véritable cathédrale sonore dans sa rédaction originale et réduite par miniaturisation à son squelette, mais avec une très fine réalisation du partage des différentes voix et de la gestion des répliques instrumentales.

Tout au fil du disque, Yo-Yo Ma , présenté en vedette de l'enregistrement, nous déçoit à plus d'un titre : attaques hasardeuses (prélude BWV 864), justesse approximative (fugue BWV 548), tenue d'archet peu assurée, ton parfois gourmé, précautionneux ou même saint-sulpicien dans les chorals. On a peine a reconnaître l'artiste qui, quelques mois auparavant, régalait le public de l'Henry Wood Hall, durant les concerts Proms 2015, par sa sonorité gourmande et son sens du rebond rythmique dans les six suites pour violoncelle seul (en un seul récital !) du même Bach. Et évoquer ici ses grands enregistrements des années 1980-90 serait bien cruel pour lui. De telle sorte que la vraie vedette de l'enregistrement est plutôt Chris Thile, lequel assume parfaitement les parties les plus virtuoses de ces arrangements, comme par exemple les  guirlandes mélodiques de la ritournelle du choral BWV 650 ou de la fugue BWV 548 : du beau travail, une fois admis le principe et les limites de la transcription.

« Bach autrement » nous dit la campagne de promotion de l'album… Certes, mais voici un CD à réserver, par son propos, davantage aux amateurs de cordes pincées ou aux inconditionnels des trois artistes ici réunis, plutôt qu'aux connaisseurs et admirateurs de l'œuvre du Cantor, sans doute plus concernés par les textes originaux.

 

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