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L’œuvre pour piano de Marcel Dupré par François-Michel Rignol

Ce disque comble un vide d'importance, puisque l'œuvre pour piano de est quasi inconnue, même des spécialistes. , en première mondiale, nous en propose une version colorée et impressionniste. Dupré, au-delà d'un langage harmonique bien personnel, s'inscrit dans la lignée des grands pianistes de son temps, jusqu'aux plus pittoresques.

La célébrité de est intimement liée à l'orgue : il en fut le représentant le plus significatif au milieu du XXe siècle, et il fut considéré comme le chef de file de l'école française. Élève de Charles-Marie Widor, il lui succéda à la tribune de Saint-Sulpice à Paris, l'un des instruments les plus prestigieux du monde. Ce que l'on sait moins, c'est que Dupré composa pour le piano – ce qui peut paraître logique d'ailleurs, vu ce qu'il préconise dans ses ouvrages théoriques sur l'orgue, où l'apprenti se doit de jouer au piano Liszt ou Chopin. Pour autant, l'envie de composer au piano vient sans doute en grande partie du fait que sa fille Marguerite était elle-même une excellente pianiste. L'œuvre est concise : un groupe de six préludes, une suite de variations, et une petite poignées de pièces diverses.

La découverte musicale est inédite et excitante. Les Variations en ut dièse mineur op. 22 révèlent quelques influences de leur temps, notamment Fauré, voire Ravel. On les imagine construites comme une grande improvisation sur un thème donné, un art auquel le maître se plaisait à ses claviers d'orgue. Les Préludes op.12, quant à eux, proposent des atmosphères intimistes, riches en couleurs et, étonnamment, sans effets virtuoses particuliers, alors que Dupré fut le représentant au plus haut point de la technique du clavier. Les Quatre pièces op. 19 dédiées à Clara Haskil offrent d'autres climats contrastés, parfois pittoresques. Certaines musiques du sud pointent aussi leurs accents (on songe à Déodat de Séverac). Le deuxième volet, intitulé Cortège et litanie, est le plus connu du cycle puisqu'il en existe une célèbre version pour orgue. C'est ce qui permet de comprendre ici ce jeu de miroirs, d'écho entre orgue et piano.

Grâce aux recherches d'Alice Szebrat-Tollet, petite fille de , deux pièces inédites sont proposées sur cet album : Gracieuse pour piano à quatre mains, où l'on se plaît à imaginer le père et la fille au clavier, et Berceuse, une petite pièce colorée aux contours charmeurs. La dernière plage du CD offre un bonus d'exception : une Ballade pour piano et orgue op. 30 jouée par et le jeune sur son orgue personnel à Paris. L'enregistrement est historique (1958) et permet d'entendre le jeu perlé de , soutenu par un parfait dans son rôle sur un orgue de salon dont les sonorités dénotent le style de l'époque.

Ce portrait de Dupré pianiste ne serait pas réussi sans la vivante approche de , qui rend à ces partitions toutes leurs subtilités, par un jeu d'une maîtrise et d'une sensibilité parfaites. L'ambiance sonore de l'album est agréable, et ce corpus s'écoute avec bonheur, l'interprète se laissant porter par la vague inspiratrice de Dupré, aux confins du rêve.

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