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Jeunesse et mélancolie à la Philharmonie de Paris avec Edgar Moreau et Lahav Shani

Rentré avec la Sixième de Mahler dirigée par son nouveau directeur musical Daniel Harding, l' propose, pour son second concert de la saison, une autre très grande Sixième, celle de Tchaïkovski, magnifiquement portée par un jeune chef déjà impressionnant de maturité : , le prochain directeur du Philharmonique de Rotterdam.

Mais avant cela, l'opulence sonore dégagée de l'ensemble impressionne dès l'Ouverture de Guerre et Paix. La pièce dure à peine cinq minutes, mais elle nécessite le plus gros effectif de la soirée, et dès l'attaque, on retrouve un rutilant dans les cuivres, et dense autant que coloré dans les cordes. L'intelligence de la battue du jeune , vingt-huit ans seulement, surprend dès les premières mesures, notamment par la capacité à traiter aussi finement le matériau premier que le second, avec par exemple une fantastique utilisation des altos autour d'une minute trente, détachés sans être pour autant mis plus en avant que ne le demande la partition. La petite harmonie ne démérite pas, mais on entend en revanche des flûtes moins parfaites qu'à l'accoutumée.

Une pause presque aussi longue que cette première pièce est nécessaire pour préparer la scène à l'arrivée du jeune prodige , violoncelliste de vingt-trois ans remarqué depuis déjà plusieurs années. Pourtant, dès l'introduction de l'Allegretto du Concerto pour violoncelle n°1 de Chostakovitch, l'adéquation entre l'œuvre et le soliste pose question, et si le rendu paraît équilibré, sans que jamais on ne quitte un style typique de l'école française, l'absence totale de mordant, d'accroche et de rugosité de l'archet sur les cordes, ne permet pas de donner du corps à la partition. Le chef a pourtant un tout autre discours, et s'il suit et s'adapte au besoin parfaitement au violoncelle, quitte à limiter les caractères dansants et joueurs de l'œuvre, il tente toutefois quelques touches de grotesque parfaitement insérées, notamment au piccolo et au basson.

Le second mouvement, Moderato, intéresse beaucoup plus, car à chercher Schumann plutôt que Chostakovitch, peut dans cette partie s'exprimer tout à fait et laisser libre cours à la finesse et à l'intelligence de son jeu, le tout allié à un son superbe qu'il est l'un des seuls à posséder actuellement. La Cadenza enchaînée directement ne pêche que par trop de douceur, quand l'Allegro final retrouve la tendance trop peu accrocheuse du premier mouvement. Dans l', on retient un cor solo magnifique tout au long du concerto ainsi que les contrebasses, belles de raucité. En bis, la Sarabande de la Suite n°3 de Bach par Moreau intéresse sans non plus émouvoir.

Nostalgie plus que désespoir

La seconde partie de concert reste d'un caractère mélancolique dans le choix des œuvres, et démontre la maturité d'un chef pourtant encore à l'aube de sa carrière. reprend place sur le pupitre, et si l'on voit souvent les orchestres français difficiles avec les jeunes directeurs encore peu connus, la qualité de la prestation de ce soir prouve déjà l'importance et la maîtrise de celui qui tourne le dos au parterre de la grande scène de la Philharmonie de Paris. L'Adagio de la Pathétique de Tchaïkovski laisse le son apparaître doucement aux cordes graves et au premier basson, ce dernier excellent toute la soirée. La façon de construire le développement du premier mouvement et de faire intervenir les pupitres impressionne tant par la délicatesse que par la personnalité du discours. Étonnamment, la petite harmonie reste quelque peu en retrait, et si l'on a cité le superbe premier basson, le second ne l'égale pas tout à fait.

La lenteur de la partie Adagio se trouve contrebalancée par la partie Allegro non troppo du même mouvement, ample et plus dynamique dans les nappes de cordes, décidément préparées avec brio pour porter cette soirée. Elles construisent un Allegro con grazia de style allant, sans montrer trop de célérité sur une valse à cinq temps dans laquelle le timbalier, quant à lui, quoique très concentré, perd le rythme à deux reprises. L'Allegro molto vivace trouve des applaudissements nourris à sa conclusion et force Shani à reprendre sur le Finale sans que les clappements n'aient totalement disparus. Joué plus rapidement que l'Adagio introductif, ce dernier Adagio lamentoso montre que le jeune chef n'y cherche pas encore la mort ni le désespoir. Déjà, pourtant, la tristesse et la nostalgie qui se dégagent dans des sonorités brumales, jusqu'à la disparition du son aux contrebasses, impressionnent et touchent profondément.

Crédit photographique : Lahav Shani © Marco Borggreve

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