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Déroutant Egmont, révolutionnaire Beethoven à la Seine Musicale

Il y a des spectacles où lorsque l'on sort de la salle, on ne sait pas trop si l'expérience que l'on vient de vivre fut grisante ou totalement inepte. Egmont selon , directrice musicale d', et la metteure en scène fait partie de ceux-là. Déroutant, complexe et admirablement moderne, quoiqu'on en pense, on n'en ressort pas indemne.

Quel plaisir de constater que La Seine Musicale propose aussi des spectacles de cet ordre, que l'on a davantage l'habitude d'aller apprécier dans des salles bien plus confidentielles ! Il faut bien avouer que cette programmation en a dérouté plus d'un : c'est vrai que l'on ne s'attend pas à ce type de proposition artistique en prenant un billet pour écouter du Beethoven. Les quatre ou cinq spectateurs qui s'éclipsent avant la fin de la première heure du spectacle en ont fait l'amère expérience… Mais que l'on aime ou non la démarche d' et de , l'expérience est à vivre, tout simplement parce qu'elle questionne, et cela à différents niveaux.

Beethoven y est pourtant omniprésent. Tous les engagements démocratiques et politiques du compositeur sont bien là : le combat contre la servitude du peuple représentée par l'orchestre, l'opposition du libéralisme à l'absolutisme par la figure du héros typiquement romantique qu'est Egmont, la force de l'amour avec le personnage féminin de la même trempe que sa Léonore, Fidelio étant également inspiré par les élans révolutionnaires français. « La liberté ou la mort » : voilà le fil conducteur de cette musique de scène.

Le souffle puissant de la patte beethovenienne s'inscrit dès la célèbre ouverture, déployant une ferveur franche, une fureur viscérale. La baguette de choisit d'affirmer des contrastes incisifs, mais tout de même savamment mesurés, complétés par un grand soin apporté au phrasé et au souffle de la ligne mélodique. La sonorité fine et claire de ces instruments anciens propose une dynamique qui porte littéralement une sourde menace tout autant qu'une fragile atmosphère, parfois presque spirituelle. Le premier lied de Klara, Die Trommel gerühret (« Le Tambour bat ») condense cette variété d'ambiances : l'intimité de la flûte piccolo s'enchaîne à l'excitation guerrière de la combattante portée par les timbales. La soprano , sans pour autant se révéler être trop démonstrative, porte le rôle à bras le corps.

Fruit d'un travail titanesque et d'une intense réflexion ( s'est entourée de pas moins de trois conseillers historiques et littéraires !), la mise en scène de l'actuelle directrice du Centre Dramatique National d'Orléans porte une vision radicale en choisissant de ne maintenir que la moelle épinière de la pièce de théâtre initiale avec pour particularité quatre comédiens au lieu d'un unique récitant. L'impact et la force du texte s'affirment de façon plus brute, plus immédiate. À la limite d'un ciné-concert, les mouvements, la vie, la rébellion juvénile des cinq protagonistes se diffusent en vidéo, alors que les comédiens en chair et en os sont étonnamment statiques sur scène, au milieu de barricades, de tôles et de pneus. Ne pas rester dans un cadre : cela semble être le fil rouge de cette démarche théâtrale. Le plateau de jeu n'a plus de limites, à l'image de la fuite de Klara qui débute sur le plateau et se poursuit sur écran géant dans les couloirs de La Seine Musicale, ouvrant d'infinies possibilités pour un régulier hors-scène exaltant. Le jeu des quatre comédiens est d'une audacieuse précision, basculant également entre celui du théâtre et du cinéma, particulièrement par le biais de nombreux regards intenses filmés en direct. Complexe et touffu, l'effet est tel que même lors des saluts, on se sent encore bien trop bousculé pour véritablement décrocher.

Beethoven s'invite dans une démarche théâtrale radicalement contemporaine, inscrivant les idées portées pas sa musique comme éternelles.

Crédit photographique : © Insula Orchestra / Ponte onl ; Egmont © Julien Benhamou

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