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Avec Tiefland, le Capitole au sommet des Pyrénées

Audace et Théâtre du Capitole de Toulouse sont bien synonymes au regard de la fin de saison lyrique 2016-2017, avec Le Prophète de Meyerbeer, et de ce début de saison, avec Tiefland d'. Peu importe qu'entre ces deux ouvrages lyriques, les univers diffèrent totalement : le succès est total pour la maison toulousaine.

Rarement joué sur les scènes lyriques nationales, Tiefland possède pourtant de très belles pages musicales et une certaine originalité : il est généralement identifié comme le seul opéra allemand proche du vérisme italien. Mais comme l'indique le musicologue Michel Lehmann dans le programme du spectacle désormais gratuit et distribué à tous, Tiefland est réellement une sublime synthèse de l'opéra du XIXe siècle, affranchie de toute étiquette stylistique. Cette partition retranscrit encore les élans romantiques en déclin tout en s'attachant aux nouveaux courants de l'époque. On retrouve ainsi des accents wagnériens par de brefs leitmotive, l'influence de Massenet dans le prologue, alors que l'abattement se compose tout au long de la partition d'une touche de Puccini. D'autres influences pourraient être ainsi encore énumérées, qui rendent cette composition attrayante. Mais ce soir, ce dont on est sûr, c'est de la puissance inouïe de la musique d', et de l'effet immédiat tout autant que réaliste des élans psychologistes qui la composent.

Rares sont les airs avec de véritables mélodies parce qu'en vérité, c'est bien l'orchestre qui les détient : « Tiefland est une immense symphonie », assure Michel Lehmann. L'excellence de l' s'affirme depuis quelques années déjà, et cette représentation n'y fait pas exception. ne cherche pas une logique fabriquée de toute pièce, et joue au contraire pleinement sur les disparités de la partition, des registres et des contrastes. La sonorité de la phalange qui se dégage de cette fosse est tout simplement une merveille, et contribue pleinement au succès de cette nouvelle production.

La faiblesse de cet opéra pourrait se révéler être le livret, si celui-ci était traité au premier degré. , qui incarne Pedro, en faisait également le constat auprès de ResMusica : quel angle prendre pour que l'histoire de Pedro et Marta ne paraisse pas obsolète et même ridicule ? Comment envisager que Pedro, seul dans ses montagnes, n'ait jamais rencontré la gent féminine et prenne la décision de se marier sans avoir aucune idée du visage de sa promise ? Tiefland doit être traité comme un conte symbolique ou comme une légende moralisatrice pour qu'elle parle à l'auditeur d'aujourd'hui.

ne joue pourtant pas tant que cela sur l'opposition entre un idéal de pureté concrétisé par les montagnes espagnoles (retranscrit également par un solo magnifique de clarinette en début et fin de prologue), et la perversion des basses terres : les sommets pyrénéens sont vite souillés par un sac plastique alors que les mauvaises herbes envahissent le moulin en béton. Le metteur en scène choisit plutôt de mettre l'accent sur notre volonté à vouloir implacablement contrôler le monde, la nature comme les hommes. Cette mise en scène un brin austère porte toutefois bien le drame et les sentiments qui composent cette histoire : la fierté, la jalousie, la soumission face à un diktat, la révolte, et enfin, évidemment, la puissance de l'amour. Pour les décors, tout en sobriété, ne manque pas d'ingéniosité en offrant une multitude de possibilités de déplacements et de positionnements du chœur comme des solistes, entre cette montagne vierge en hauteur que seul un cadre nous laisse apercevoir, et ce moulin en béton où la pièce principale est accessible par quatre escaliers savamment disposés. Les costumes renforcent le contexte réaliste et populaire de l'intrigue et sont dictés par des fautes de goût nécessaires (le costume de cérémonie de Pedro doit être évidemment particulièrement hideux, puisque celui-ci le refuse), alors que les couleurs, inspirées de l'univers cinématographique d'Almodóvar, restent en cohérence avec l'Espagne et dynamisent la vision d'ensemble dans un décor plutôt sombre.

La force émotionnelle de Tiefland se concentre essentiellement dans l'évolution psychologique des personnages : principalement celle de Pedro, mais aussi celle de Marta qui, en une journée, passe du rejet à un amour sans limite. Les lignes vocales sont pourtant arides, avec beaucoup de recto tono, que justifie la volonté de rendre intelligible un texte particulièrement abondant. La prosodie est fluide tout autant que souple.

Dans cette prise de rôle, la générosité de est indéniable. D'un berger candide à un mari meurtri qui tue pour libérer son épouse des griffes du tyran Sebastiano, le ténor excelle en tous points. La solidité de sa voix, que nous avions déjà savourée il y a quelques mois à Saint-Étienne, complète un jeu scénique parfaitement authentique. La fougue et l'engagement du ténor sont admirablement contrôlés : le chanteur révèle une ligne de chant sublimement maîtrisée, une brillante diction, surtout dans le passaggio de la voix malgré l'abondance du texte ou la nécessité d'une diction rapide, peu habituelles dans un opéra.  aborde avec intelligence le rôle comme un « Jugendlichen Heldentenor » (un jeune ténor héroïque) via un chant juvénile et un jeu presque candide, soulignant avec brio la riche progression de ce personnage tout au long de l'intrigue.

bénéficie, quant à elle, de son propre monde sonore. La soprano, qui fait ses débuts français avec le rôle de Marta, fait admirer au public toulousain son timbre puissant, sa voix brillante, et une émotion qui fait mouche. De son côté, retranscrit à la perfection l'immoralité d'un Sebastiano persécuteur et excessif. La profondeur de ses graves, son agréable émission et l'assurance de sa projection affirment également un homme amoureux, agrémentant ainsi un personnage qui pourrait se révéler un peu linéaire sans cela. Le reste de la distribution est à la hauteur de ces trois grands interprètes, assurant un sans-faute à cette nouvelle production toulousaine.

Crédits photographiques : © Patrice Nin

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