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Nuremberg ose Les Troyens avec Calixto Bieito

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Nuremberg. Opéra. 8-X-2017. Hector Berlioz (1803-1869) : Les Troyens, opéra en cinq actes d’après Virgile. Mise en scène : Calixto Bieito ; décor : Susanne Gschwender ; costumes : Ingo Krügler. Avec : Mirko Roschkowski (Énée) ; Jochen Kupfer (Chorèbe) ; Wonyong Kang (Panthée) ; Nicolai Karnolsky (Narbal / Hector) ; Alex Kim (Iopas / Hélénus) ; Ina Yoshikawa (Ascagne) ; Roswitha Christina Müller (Cassandre) ; Katrin Adel (Didon)… Choeur de l’Opéra de Nuremberg (préparé par Tarmo Vaask) ; Philharmonie nationale de Nuremberg ; direction : Marcus Bosch.

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A Nuremberg, une partition réduite de plus d'un quart et une mise en scène trop partielle de , tournent à la solution de facilité et ne rendent pas service aux héros de Berlioz.

pfoto_trojaner khp_0200Jouer Les Troyens reste un défi : l'Opéra de Paris lui-même n'a pas même affiché une vingtaine de représentations de l'œuvre ces quarante dernières années, la dernière il y a une décennie ; quand une scène moyenne comme l'Opéra de Nuremberg affronte pour la première fois le chef-d'œuvre de Berlioz, il faut d'abord saluer l'audace – mais il faut aussi regretter le parti-pris choisi, celui de ramener l'œuvre à environ 2 h 40 de musique, ce qui rend l'oeuvre certes moins lourde à monter, plus digeste pour un public largement novice, mais en réduit aussi considérablement la portée, notamment dans la seconde partie – que resterait-il des grands opéras de Wagner après un tel traitement ? En éliminant ainsi tout ce qui n'est pas strictement indispensable à l'action, le drame ne se retrouve pas concentré ou réduit à l'essentiel : il est au contraire privé de tout ancrage et se retrouve réduit à une caricature.

La première partie, à Troie, est la mieux préservée. , sans excès d'ambitions interprétatives, livre un travail d'une remarquable clarté, qui illustre la solitude de Cassandre face au poids du collectif et brouille les frontières des identités opposées. C'est sans doute moins éclairant que l'inoubliable version de (Salzbourg 2002), mais tellement plus que le vulgaire gigantisme de (Londres 2012) ! Après l'entracte, un autre spectacle commence, moins ambitieux dans l'esthétique visuelle, plus ambitieux dans l'interprétation. Il y est question de guerre, de domination, de pillage économique : pourquoi pas, la guerre par Troyens et Carthaginois à la « troupe immonde d'Africains » étant bel et bien un moteur déterminant du livret, mais c'est tout de même un peu court. Les huées un peu apathiques ont sans doute sanctionné, comme d'habitude, le vernis contemporain du spectacle et la violence que Bieito, enfreignant un absurde tabou, n'hésite pas à montrer ; mais le problème de cette seconde partie est ailleurs : outre un décor plus pataud que monumental, l'angle d'attaque choisi laisse de côté beaucoup des questions essentielles qu'ouvrent cette œuvre – pensons seulement au thème omniprésent des identités collectives, de ces patries qu'on traîne avec soi, fardeau et mythe fondateur (la scène des deux sentinelles marries de devoir quitter Carthage, naturellement coupée, n'est pas là pour rien !).

Vrai drame et (trop) bon ton

Les coupures ont sans doute la vertu d'aider les chanteurs à affronter leurs rôles. a de grandes qualités lyriques en Énée et un timbre qui ne laisse pas voir l'effort, mais il lui manque tout de l'héroïsme tragique du personnage ; en Didon a de même une vraie séduction par le miel de sa voix, mais peu de présence dramatique, dans le chant tout autant que dans le jeu. C'est Cassandre qui, ce soir, fait sentir le souffle du drame antique revisité par Berlioz : n'a pas une voix de marbre, et c'est tant mieux ; sa Cassandre est frémissante, animée, parfois véhémente et – ce n'est pas rien – offre un français correct. Le reste de la distribution, du moins les rôles qui n'ont pas disparu dans les coupures, donne satisfaction ; l'orchestre et la baguette du directeur musical de la maison ne déméritent pas – le travail du détail pourrait aller plus loin, mais le sens du drame, la construction d'ensemble, le soutien apporté aux chanteurs sont d'une qualité méritoire. La soirée n'en illustre pas moins ce qui devrait être une évidence : face à un monument comme Les Troyens, la solution de facilité du digest est un piège, qui appauvrit la confrontation du metteur en scène au monde créé par le librettiste-compositeur.

Crédits photographiques : Ludwig Olah

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Nuremberg. Opéra. 8-X-2017. Hector Berlioz (1803-1869) : Les Troyens, opéra en cinq actes d’après Virgile. Mise en scène : Calixto Bieito ; décor : Susanne Gschwender ; costumes : Ingo Krügler. Avec : Mirko Roschkowski (Énée) ; Jochen Kupfer (Chorèbe) ; Wonyong Kang (Panthée) ; Nicolai Karnolsky (Narbal / Hector) ; Alex Kim (Iopas / Hélénus) ; Ina Yoshikawa (Ascagne) ; Roswitha Christina Müller (Cassandre) ; Katrin Adel (Didon)… Choeur de l’Opéra de Nuremberg (préparé par Tarmo Vaask) ; Philharmonie nationale de Nuremberg ; direction : Marcus Bosch.

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