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L’ultime Chostakovitch par Gabriele Leporatti et Yuri Bondarev

Un album alto et piano qui gravite autour du cœur lunaire qu'est l'opus 147 de Chostakovitch, et qui démontre qu'une haute musicalité et une production discographique de qualité peuvent se développer à l'écart des circuits établis. 

Le pianiste italien  et l'altiste russe ne jouent pas en concert en terres francophones. Ils enregistrent sur le propre label du pianiste, mais dans la testamentaire Sonate pour alto et piano op. 147, de , œuvre iconique du répertoire pour alto, et ils en livrent une interprétation d'une très grande délicatesse à la hauteur de l'enjeu. Ils y expriment toute la magie douce-amère de cette pièce où ce titan si humain se livre une dernière fois, esquisse une ultime danse sarcastique, et dans le dernier mouvement de sa dernière œuvre rend un hommage troublant et merveilleux à Beethoven à travers la citation à la Sonate « Clair de lune ». Le principe de la citation est connu et Chostakovitch l'a utilisé ailleurs, notamment dans sa Symphonie n°15 ; mais il prend ici un relief unique. Au seuil de la mort, le compositeur russe rejoint le maître allemand, là où les frontières n'ont plus de sens.

Quand Fiodor Droujinine, le bienheureux dédicataire de la sonate (il évoque ce moment clé de sa vie dans Souvenirs, son livre de mémoires), l'enregistre en 1975 avec Mikhail Muntian, alors que Chostakovitch n'est plus, l'altiste est dans la flamme de l'instant, on sent que le maître est encore tout proche. et  ont quarante ans de recul et la distance du temps n'a fait qu'ajouter au mystère. Durant les 16 minutes de ce mouvement lunaire, les deux musiciens ne perdent jamais le fil ténu qui le parcourt, et on les suit pas à pas dans ce mouvement d'outre-tombe.

Après une telle œuvre, ce devrait être le silence, mais le programme ajoute un morceau « bonus », Les Marguerites, tiré des Six Poèmes de Sergueï Rachmaninov, comme on met un bis pour redescendre en douceur. L'effet est heureux, la pièce ayant la tonalité parfaite pour nous ramener sur terre : oserait-on dire, sur le plancher des vaches ?

La première partie du programme est tout aussi judicieusement composée, la Sonate op.11/4 de constituant une pièce solide pour ouvrir le disque, et l'Intermezzo de , composé en 1945, fait mieux qu'un rôle de transition en apportant plus de chaleur mélodique, avant que ne résonne l'opus 147.

Le livret est à l'avenant en terme de réalisation éditoriale, soigneusement illustré et avec une présentation des œuvres et des musiciens, quoiqu'il manque une traduction française.

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