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L’Opéra imaginaire du Concert Spirituel pour un anniversaire bien réel

Comme de grands enfants, et son Concert Spirituel aiment fêter leur anniversaire plus d'une fois avec un plaisir toujours renouvelé. Pibrac, Montpellier, Metz, maintenant Paris et bientôt Versailles : leur « Opéra imaginaire » voyage pour marquer les trente ans de l'ensemble baroque.

C'est dans une ambiance bon enfant que fête ce soir son anniversaire au Théâtre des Champs-Élysées. Soirée en famille ( nous présentant ses jumelles, l'une dans le public, l'autre dans le chœur), soirée entre amis (Nicole Bru suscitant les chaleureux remerciements du chef alors que la salle et les musiciens entonnent un « Joyeux anniversaire » de circonstance), soirée entre partenaires et mécènes (les anecdotes du directeur artistique avec son banquier provoquant l'hilarité dans la salle), soirée en musique surtout !

Après Miranda de Raphaël Pichon et présenté il y a quelques semaines à l'Opéra Comique, le public parisien s'habitue à découvrir des ouvrages lyriques recomposés. L'intrigue générée par la savante sélection de partitions baroques plus ou moins connues (ou totalement oubliées !) de cet « Opéra imaginaire » par et , directeur artistique du Centre de musique baroque de Versailles, se concrétise ici par un triangle amoureux assez classique : alors que la Princesse (Chantal Santon-Jeffery) est amoureuse du Prince () et en est aimée en retour, sa rivale magicienne () espère conquérir le cœur du jeune homme, sans savoir que celui-ci est déjà épris d'une autre. Pour protéger son royaume d'un monstre et d'assaillants rebelles, le Prince part au combat avec son armée. Sa victoire lui donne l'occasion de rendre public son amour, alors que son triomphe résulte de l'intervention magique de son autre prétendante. Cette dernière, furieuse, se venge en déclenchant une terrible tempête. Dans la confusion, la magicienne se jette dans les flots, persuadée que l'objet de son amour est mort par sa faute. Mais le Prince, tout comme la Princesse, survit à cette vengeance, et le royaume chante et danse pour fêter le triomphe de l'amour.

Dommage toutefois que cette trame n'ait pas été exploitée pleinement lors de la conception de ce « nouvel » ouvrage : les airs, duos, chœurs et pièces purement instrumentales s'enchainent sans que l'intrigue ne soit réellement mise en valeur par des récitatifs qu'un simple continuo aurait pu soutenir, affaiblissant de fait la dramaturgie de l'ouvrage structurée en deux parties de 45 à 50 minutes chacune. Et ce n'est pas la vidéo projetée sur grand écran derrière l'ensemble qui va combler cette faiblesse, les images 3D du jeune vidéaste Antony Rubier paraissant au mieux superflues, au pire assez laides et manquant cruellement de renouvellement : des bâtisses démesurées proches d'un univers de science-fiction se succèdent et reviennent (trop) régulièrement, alors que des personnages ou des monstres figés symptomatisent une déshumanisation froide qui apporte bien peu au projet d'ensemble.

La musique victorieuse

Indéniablement, la musique est bien la grande gagnante de la soirée, l'ampleur des gestes bien caractéristique du chef d'orchestre traduisant la générosité et le rythme effréné de son Concert Spirituel. En réponse à la richesse d'un chœur robuste techniquement et totalement engagé, notamment dans le chœur d' Quel bruit affreux se fait entendre extrait d'Enée et Lavinie, la richesse constante de l'orchestre sublime la diversité de ce répertoire du XVIIIe siècle (surprenant Chaos de extrait des Éléments) : richesse des timbres, richesse des couleurs, richesse des dynamiques, et cela même si la vivacité des tempi et le foisonnement instrumental prévalent dans un formidable élan collectif. Alors que le contrebassiste Luc Devanne (« qu'on n'entend pas quand il joue et qu'on entend quand il ne joue pas » d'après Hervé Niquet !) est mis à l'honneur à l'occasion de cet anniversaire, le musicien faisant partie de la première aventure du Concert Spirituel en 1987 comme nous vous le rappelions à l'occasion du Don Quichotte chez la duchesse présenté cet été au festival de Sablé, c'est bien le hautbois et la flûte d', solide pilier de l'ensemble, qui assurent avec virtuosité et talent un grand nombre de parties solistes.

La distribution vocale se compose de spécialistes de musique baroque même si l'absence de , malade, récente Anna justement dans Miranda, suscite chez nous une déception manifeste, écourtée toutefois par la qualité de la prestation de sa remplaçante, touchante autant dans les élans amoureux que dans la détresse de Tout ce que j'adorais n'est plus ! (extrait de Pyrame et Thisbé de Rebel). Face à elle, l'expérience de opère avec justesse et précision, l'artiste jouant « collectif » en suivant scrupuleusement les interventions de ses collègues, mais assumant pleinement son individualité au début de la seconde partie de l'ouvrage avec trois airs de Médée de Charpentier qui dévoilent des aigus de grande ampleur, des médiums équilibrés, et des graves quelque peu dépourvus d'appuis solides. La finesse du chant de complète admirablement ce trio, marquant les esprits par de délicieux pianissimi et une diction exquise, retraçant un prince élégant tout autant que conquérant.

Crédits photographiques : © Luc Jennepin

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