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Marnie, création mondiale de Nico Muhly à l’ENO

Six ans après Two Boys, revient à l' de Londres avec Marnie, sur un livret d'après le roman de Winston Graham ayant déjà inspiré au cinéma Alfred Hitchcock. La composition présente un travail efficace mais sans doute trop sage, cependant bien porté par l'équipe musicale et la mise en scène.

fait partie de la jeune génération de compositeurs américains et montre avec son nouvel opéra pour l', coproduit avec le Metropolitan Opera de New-York, qu'il sait utiliser un matériau musical personnel pour traiter un livret. Avec des influences évidentes des maîtres Philip Glass, Sebastian Currier et surtout , il utilise la technique minimale pour développer une partition de fosse très colorée et habilement façonnée pour varier les atmosphères en fonction des situations.

L'histoire de Marnie est celle d'une Elina Makropoulos du milieu du XXe siècle, à l'intrigue sans caractère fantastique, puisque l'héroïne ne traverse pas les époques mais seulement le Royaume-Uni en adaptant son physique après chaque vol afin de passer inaperçue. Elle change aussi de nom en choisissant presque toujours la même initiale, le M, et tente de s'accorder au monde comme elle le peut, à la façon d'une Mélisande. Une référence évidente à l'opéra de Debussy se trouve d'ailleurs lors de la lecture d'une lettre par la mère à l'acte II.

Extérieure à sa propre vie, Marnie n'éprouve pas d'émotions et s'alimente donc de celles des autres, en plus de subir les assauts de son mari obligé, le directeur Mark Ruthland, ici dévolu au baryton-basse canadien , dont la plénitude du timbre et la projection subtile démontrent un artiste habitué au répertoire contemporain, déjà remarqué dans The Fly d' en 2008 au Châtelet, Brokeback Mountain de Charles Wuorinen en 2014 au Teatro Real, ou encore JFK de David T. Little l'an passé au Texas.

Les variations de sensations et d'ambiances passent surtout par la fosse grâce à l'ENO Orchestra, très bien dirigé par , même si certains pupitres présentent des timbres disgracieux, notamment les cuivres et quelques bois. A n'en pas douter, la reprise au Met sera plus favorable à certaines parties, sans pouvoir non plus masquer une écriture parfois trop facile, comme dans la sur-utilisation d'un rythme binaire associé à deux notes répétées à l'infini dans certaines scènes, ou celle d'un thème simple trop récurrent dans d'autres. Évidemment, il n'est pas question ici de remettre en cause le principe même du minimalisme américain, mais il est dommage que ce compositeur prometteur, connu dès le début pour s'être intéressé à Ligeti, n'aille pas chercher du côté de l'école spectrale pour adapter son matériau avec des variations plus subtiles ou plus dynamiques.

La dernière scène parait alors un peu longue avant que Marnie ne se rende finalement à la police, mais il existe aussi de superbes moments dramatiques, le plus beau étant lors du long duo de l'acte II, échange non pas d'amour comme dans la majorité des opéras, mais de désamour à cause de cette femme qui ne ressent rien et se sent agressée sexuellement par son mari. Ce rôle principal trouve une interprète remarquable en la mezzo-soprano américaine Sasha Cooke. Malheureusement, la composition recto-tono de nombre de ses parties ou les longues notes liées sans beaucoup d'évolutions ne permettent pas de profiter de l'habilité de la chanteuse, mais surtout de son timbre et de sa prestation scénique. Toutefois la ligne droite et l'absence de vibrato conviennent parfaitement à un rendu global se voulant pur et souvent glacé.

Du reste de la distribution, la mère de Marnie tenue par se démarque par un chant noir et autoritaire, superbe dans la lecture de la lettre précitée. , frère de Mark Ruthland sur scène, chante en voix de tête sans que cela semble lui convenir totalement, même si le résultat quelque peu difficile et ingrat correspond parfaitement aux attentes sur ce personnage. Lesley Garrett est une Mrs Rutland intéressante, la soprano possède encore clarté et tenue à l'aigu à plus de soixante ans. est une voisine bien présente quand il le faut et Alasdair Elliott un ténor précis et dynamique pour le rôle de Mr Strutt. Les quatre « Marnettes » autour de l'héroïne se montrent agréables en scène et tiennent parfaitement leurs cantiques mystiques autour de Marnie, à l'image de fantômes d'un passé qui ne veut pas disparaitre. Le chœur également impeccable chante des parties écrites souvent à la manière d'un Britten, la comparaison avec Peter Grimes étant plus d'une fois flagrante.

tente d'adapter sa mise en scène à un livret sans cesse mouvant et sans doute trop respectueux du livre et du film, à l'image de celui de Notorious de Gefors il y a deux ans à Göteborg, déjà d'après Hitchcock. La rapidité des changements de lieux et d'action trouve une solution efficace dans les décors de Julian Crouch, assisté pour les vidéos par le collectif 59 Productions Ltd. Des panneaux coulissent latéralement et verticalement tandis que le mobilier entièrement sur roulettes permet d'être très rapidement ajusté. Il est déplacé par des hommes en costumes trois pièces et chapeaux, à l'image d'artistes de music-hall, parfois utilisés justement dans des chorégraphies pour amplifier certaines situations. La caractérisation des personnages reste cependant bien faible et de même qu'une partie de la musique, la mise en scène reste plus illustrative que démonstrative, sans donner non plus de véritable partie pris sur l'héroïne.

Un spectacle et une composition de qualité à n'en pas douter, mais on peut s'interroger quant à la pérennité de l'ouvrage dans le temps.

Crédits photographiques : © Richard Hubert Smith

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