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À Paris, Gustav Holst et Péter Eötvös jonglent avec les astres

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Paris. Philharmonie – Grande salle Pierre-Boulez. 24-XI-2017. Péter Eötvös (né en 1944) : Multiversum ; Gustav Holst (1874-1934) : The Planets. Iveta Apkalina, orgue symphonique. László Fassang, orgue Hammond. Orchestre national des Pays de la Loire, Chœur du Forum national de la musique de Wroclaw (cheffe de chœur : Agnieszka Franków-Żelazny), direction : Pascal Rophé

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pr_a_la_direction_2_marc_rogeronplLors du week-end « orgue » de la manifestation Orchestres en fête !, l' et le dirigés par , avec Iveta Apkalina à l'orgue symphonique et à l'orgue Hammond, donnaient deux œuvres, l'une en création française de et l'autre signée .

L'étonnant programme de ce concert était donc bâti selon deux axes : le thème du cosmos et la mise en valeur de l'orgue. Il est vrai que l'instrument le plus puissant et le plus complexe, un monde en soi, est tout indiqué pour représenter l'infiniment grand. a repoussé les limites de l'univers musical traditionnel en écrivant un concerto pour orgue et orgue Hammond, où le second est conçu comme une extension du premier puisque les notes qu'il produit sont envoyées par haut-parleurs au-delà du public. Multiversum est donc bien la traduction musicale du multivers qui fascine le musicien. Trois mouvements structurent cette pièce créée en 2017 et dédiée à Pierre Boulez.

Dans « Expansion », l'espace s'ouvre d'emblée par quelques trilles à l'orgue suivis de notes pédales tenues qui créent la profondeur. Quelques instruments dispersés répondent isolément, figurant la dilatation. L'orgue est le point fixe autour duquel gravitent des satellites en nombre croissant. Ce processus de propagation est soutenu à intervalles réguliers par les maracas. On entend aussi les notes cristallines du célesta, qui tissent une dentelle d'arpèges. Plus tard interviennent de manière insistante les cloches tubulaires. L'auditeur a compris que c'était le son qui était au cœur du processus et que lui-même était placé au centre de cette exploration du timbre et de la résonance. L'atmosphère surnaturelle générale, rendue par des cellules mélodiques courtes et impersonnelles, se double d'une certaine sensualité. Si les sources sonores sont multiples, le matériau thématique est à l'inverse unique et obsessionnel. Calme et régulière, la battue de est une mécanique souple à laquelle les musiciens, ensemble tour à tour hétéroclite et fondu, répondent avec précision.

Vrai changement d'ambiance au début du deuxième mouvement par un tempo accéléré. L'orgue Hammond soliste enchaîne rapidement des séries chromatiques. Ce voyage dans le son se poursuit avec d'autres instruments jouant seuls sur un discret tapis orchestral, notamment la trompette, bouchée ou non. « Multiversum », c'est le « multison », où chacun est brièvement soliste et repris en écho. Cela dit, par moments, la récurrence de certains schèmes peut lasser et donner une désagréable impression de pâte sonore sans début ni fin. Le tutti de fin se disloque lentement jusqu'au silence.

« Temps et Espace » s'articule autour de deux notes, comme les pas d'une marche très élastique, mais ce dispositif a priori rudimentaire produit un mélange subtil de tension dramatique et d'abstraction. Au départ, les deux orgues jouent ensemble, à l'unisson ou se répondant ; puis, dans un grand mouvement de balancier, les notes, passant d'un pupitre à l'autre, sont étirées à l'infini. Le compositeur semble ici au faîte de son travail sur la matière sonore. Iveta Apkalina et sont les héros complices de cette fête cosmique.

Les qualités d'interprétation de la phalange ligérienne sont plus manifestes encore dès le début des Planètes (The Planets – 1914-1916) de l'Anglais . L'orchestre semble reprendre tous ses droits dans cette œuvre qui paraît très « construite » au regard de la première. Ce classicisme est aussi celui d'une conception associant un caractère psychologique et sa traduction en musique. Le premier mouvement, « Mars, The Bringer of War », commence tambour battant dans le sombre de notes basses : nous sommes bien sur le chemin de la guerre, dans une marche virile que rien ne saurait arrêter. Effet de péplum réussi ! Efficace et irrésistible dans sa naïveté et son caractère pompier. Les percussions martèlent obstinément quatre temps, les trois premiers plus rapprochés. L'orgue ici est discret et réduit au rôle de soutien. À cette mâle assurance succèdent les nappes un peu sucrées de l'adagio « Venus, the Bringer of Peace ». Un violon mélancolique et délicat se détache de l'orchestre dans une partie kitsch, tour à tour théâtrale et diaphane. Dans le très aérien « Mercury, the Winged Messenger » court une petite mélodie qui saute d'un instrument à l'autre et se propage à tout l'orchestre. Le célesta, la flûte et le violon prédominent. C'est léger et assez creux. Un feu d'artifice sonore : tel se montre l'allegro giocoso de « Jupiter, the Bringer of Jollity ». Il y a là quelque chose de l'esthétique un peu factice de « Jingle Bells ». Sans surprise, l'adagio « Saturn, the Bringer of Old Age » s'étire en séries descendantes. Le destin frappe à la porte à grands coups de cymbales et de masses orchestrales avant de s'amenuiser puis de renaître au gré d'un intervalle de seconde ascendant par le glockenspiel. Enfin, c'est l'apaisement final dans le decrescendo des cordes. « Uranus, the Magician » s'inspire fortement de L'Apprenti Sorcier, dont il reprend la construction, les thèmes et l'atmosphère. Comme chez Paul Dukas, les effets de grotesque y assurent un certain humour. Une grâce indéniable se dégage du septième et dernier mouvement, « Neptune, the Mystic », à la fois assuré et nimbé de mystère, et qui, vers la fin, fait intervenir des voix féminines. La partition s'achève ainsi sur les suaves volutes d'un art qui un jour fut nouveau.

L'œuvre de était illustrée par des images de la Nasa projetées sur écran géant. Las ! ainsi la musique ne saurait se satisfaire à elle-même ? Quoi qu'il en soit, les auditeurs manifestèrent leur contentement par de très longs applaudissements.

Crédit photographique : © Marc Roger / ONPL

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