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À la salle Gaveau, les voix romantiques de Philippe Cassard

Salle Gaveau, le pianiste nous invite à découvrir différents visages du romantisme, et réaffirme à cette occasion son amour de la mélodie et l'étendue des possibilités expressives de son jeu.

En bon pédagogue, sait concocter un programme dans son répertoire, séduisant sans être convenu, quoique différent de celui annoncé : des pièces de compositeurs qu'il a enregistrés, Mendelssohn, Fauré et Brahms, et la Sonate n° 3 de Chopin. Le voyant assis sur un fauteuil (un souhait ou une contrainte ?) et souriant patiemment à un public qui s'installe un peu difficilement, nous avons un instant l'impression de nous trouver dans le salon de cette personnalité familière par les ondes.

Dès les Romances sans paroles, nous retrouvons ce jeu élégant, tendre et lyrique qui le caractérise : la phrase mélodique en dehors, bien déroulée sur un accompagnement fondu dans la pédale, savoureux dans les Andante et notamment le duetto amoureux, et le toucher perlé, si pertinent dans les pièces vives comme la « Fileuse » (op. 67 n° 4). Venetianisches Gondellied reste la pièce la plus étonnante et prenante par l'interprétation quasi opératique qu'il en donne, à l'opposé d'une mélancolie tiède et sage. Le pianiste, par sécurité, recourt à la partition pour ces pièces, et montre déjà une certaine fatigue par certaines petites imprécisions, bien compensées néanmoins par un jeu généreux et très engagé.

De Brahms, a retenu la mélancolie tantôt fiévreuse des Fantaisies op. 116  et de la Rhapsodie op. 79 n° 2, et tantôt dramatique de la Ballade inspirée du conte écossais Edward, avec son crescendo sans concession. Le pianiste s'attache à rendre la dimension orchestrale de ces pièces, avec à la fois une structure très lisible, des couleurs contrastées et des passages forte ou fortissimo marqués avec autorité, mais sans raideur. Parfois nous aurions rêvé d'un peu plus de mystère, par exemple dans le début de la Ballade, mais le choix a été fait d'un son très présent et charnu, les doigts au fond du piano.

Chopin au sommet

Après l'entracte, l'atmosphère change tout à fait avec la Barcarolle de Fauré, rendue peut-être plus difficile d'accès par ses hésitations tonales et son atmosphère en demi-teinte ; elle est suivie d'un Impromptu fluide et lumineux, et d'un Nocturne pleinement convaincant par son expressivité. Nous sommes loin de l'impressionnisme que l'on attend parfois de cette musique, dans cette interprétation d'une grande clarté et à la pédale légère. Le toucher généralement assez affirmé, loin du toucher debussyste qu'on connaît à l'interprète, réussit particulièrement dans le Nocturne et l'Impromptu.

Enfin, la Sonate n° 3 de Chopin, belle surprise de ce récital, nous laisse apprécier toute l'étendue de la palette de couleurs du pianiste ramassées en une seule pièce d'envergure. Elle fait écho au reste du récital, évoquant tantôt Brahms, Mendelssohn ou même Fauré dans son Nocturne. Composée en 1844, lors du séjour du compositeur déjà malade à Nohant, en compagnie de George Sand, l'œuvre est complexe par sa virtuosité et par les climats variés qu'elle installe : la sourde montée chromatique initiale, faisant place aux thèmes martiaux affirmés avec autorité ; la prestesse fluide et jamais confuse du Scherzo ; le Largo où le pianiste déploie son bel canto avec le toucher tantôt très intense, tantôt lointain, rappelant les nocturnes du même Chopin ; le Presto non tanto qui offre un aboutissement saisissant et frénétique de l'œuvre et du concert.

Philippe Cassard revient avec deux valses de Chopin et le Clair de lune de Debussy, archétypes du bis, choisis avec un peu de malice, mais toujours interprétés avec délicatesse et élégance.

Crédit photographique : Philippe Cassard © Jean-Baptiste Millot

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