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Gregory Kunde Prophète à Berlin

Après Vasco de Gama en 2015 et Les Huguenots en 2016, le Deutsche Oper Berlin poursuit son cycle Meyerbeer et s'intéresse cette saison au Prophète, grand-opéra réapparu récemment en Europe avec plusieurs nouvelles productions à Karlsruhe, Essen et Toulouse. En utilisant ses habituelles marottes, ne parvient pas à intéresser à un livret de Scribe pourtant correctement construit, là où dynamise moins la fosse qu'il n'avait su le faire deux années plus tôt dans Vasco, mais la distribution de grande qualité, portée par l'exceptionnel , magnifie les parties vocales de l'ouvrage.

En 2015 Roberto Alagna avait rendu hommage sur la scène berlinoise au rôle de Vasco de Gama. L'an passé, Juan Diego Flórez en Raoul de Nangis démontrait l'importance accordée par la Deutsche Oper à faire appel à de grands chanteurs pour faire revivre les œuvres de Meyerbeer. Cette année, sublime le rôle de Jean de Leyde dans Le Prophète et s'il n'a jamais atteint l'aura de Domingo ou Kaufmann, à soixante-trois ans dont plus de quarante de carrière, le ténor impressionne toujours autant par la jeunesse d'un timbre solaire, un chant subtil autant qu'agile et une prononciation impeccable de chaque mot. Il tient son rôle superbement, tant scéniquement que vocalement, et donne une ampleur impressionnante à ses airs, tout particulièrement celui du Récit du songe à l'acte II.

Autour du Prophète suivent les anabaptistes, dont deux moururent suppliciés en 1536 à Münster avec Jean de Leyde, avant d'être exposés dans des cages de fer accrochées au clocher de l'église St Lambert, qu'on peut voir aujourd'hui encore. Tenus par les chanteurs d'une troupe dont on répète à chaque production l'excellence, ces rôles mêlent un ténor, ici Andrew Dickinson pour Jonas, de plus en plus dynamique acte après acte, le baryton claire mais bien présent de pour Mathisen, et une basse, le remarquable , déjà Conte de Saint-Bris dans Les Huguenots et maintenant Zacharie. Sa prononciation du français et le placement de sa voix font assurément de lui l'une des grandes forces de cette production.

Chez les femmes, récupère le rôle inchantable de Fidès, comme toujours chez Meyerbeer placé entre plusieurs tessitures et d'abord pensé pour Cornélie Falcon avant d'être écrit pour Pauline Viardot, même s'il lui a ensuite ajouté des ossias pour permettre à d'autre de l'aborder par la suite. La Deutsche Oper Berlin a choisi de jouer une nouvelle édition critique de l'œuvre, donc le rôle de Fidès avec toute sa compléxité, qui force Margaine à poitriner quelque peu le grave et à occulter souvent les consonnes pour réussir à développer jusqu'au bout un médium nuancé et un aigu bien présent. Avec Berthe se déploient un aigu étincelant et une large palette de couleurs claires grâce à la jeune , magnifique dès son entrée et l'air Mon cœur s'élance et palpite. Le Comte Oberthal est le dernier rôle d'importance, lui aussi parfaitement traité grâce au chanteur , avec un français souvent compréhensible et une projection comme une stabilité du chant irréprochables.

Michele Mariotti avait porté Les Huguenots en réussissant particulièrement les passages verdiens, mais il passait quelque peu à côté des couleurs françaises. L'annonce du retour d', flamboyant dans Vasco de Gama et capable de donner de la légèreté et de la vie à la grosse machine orchestrale du Deutsche Oper était donc une excellente nouvelle. Pourtant, si le chef arrive bien à lier entre elles avec une véritable unité toutes les parties du Prophète, et s'il surveille son plateau pour ne jamais le perdre, le manque de dynamique se ressent régulièrement, même lorsqu'il faut accompagner un chœur pourtant parfaitement préparé dans la ferveur et la mise en place par . De l'orchestre allemand, les cuivres et les cordes ressortent du lot et la fanfare de saxhorns au IV exalte la scène du couronnement, mais les bois présentent des timbres parfois peu gracieux, notamment le premier hautbois, occasionnellement non ajusté pour doublonner les parties de clarinette et de flûte.

a été convié à la mise en scène, sans doute parce que ses Huguenots pour La Monnaie avaient été appréciés, notamment dans les costumes XVIIe modernisés. Il aborde Le Prophète différemment en plaçant l'action « quelque part au XXe ». Le décor de présente alors des murs gris de banlieue aussi faciles à trouver en France que partout en Europe. L'arrivée du Comte en Mercedes des années 60 entourée de militaires à kalachnikovs pourrait faire penser à l'actualité en Ukraine, mais Py ne s'en sert pas plus pour tenter un véritable parallèle avec une situation présente.

Des publicités s'affichent partout sur le plateau, d'abord d'un slip sur un grand panneau à jardin, quand en face l'autre panneau représente notre galaxie, puis ensuite une grande publicité d'une femme en maillot au centre semblent surtout montrer le manque d'inspiration du metteur en scène. Il tombe alors dans tous ses travers, notamment au ballet où les danseurs de l'Opernballett semblent livrés à eux-mêmes pendant que le décor tourne rapidement sur son axe. Cette partie est d'ailleurs la seule à être huée, par un public d'habitude plutôt calme face à des mises en scène audacieuses.

Le dernier acte nous apporte enfin les habituelles éphèbes complètement nus, tandis que les femmes ont eu le droit de garder un string couleur chair pour forniquer en bande dans les lumières rouges de l'enfer au fond de la scène, derrière trois anabaptistes et un prophète stoïques, sauf dans leur chant, toujours superbe. L'idée n'est pas si mauvaise lorsque l'on sait que Jean de Leyde avait construit un harem et défendait la polygamie, mais on connaît trop Py pour la trouver nouvelle et franchement intéressante, tout comme le reste de sa mise en scène.

Attendons maintenant la présentation de la prochaine saison pour connaître la distribution de Robert le Diable, car nous y serons !

Crédit photographique : © Bettina Stöß / Deutsche Oper Berlin

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