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Le Casse-Noisette de Kader Belarbi au Capitole

laisse libre cours à son imagination pour donner un coup de vitalité au Casse-Noisette traditionnel. S'il conserve la magie du conte de Noël tout en le transposant dans un univers aux couleurs acidulées qui parle davantage aux enfants d'aujourd'hui, l'ambition chorégraphique reste faible et la composition du ballet en demi-teinte.

Casse-Noisette, c'est l'histoire d'un succès mondial non démenti. A partir de la version initiale créée par Marius Petipa en 1892, de nombreux chorégraphes se sont emparés du sujet. Les versions de référence aujourd'hui sont notamment celles de Youri Grigorovitch pour le Bolchoï, de George Balanchine pour le New York City Ballet et de Rudolph Noureev pour l'Opéra de Paris. Depuis, des versions plus modernes et/ou iconoclastes ont été créées par Mark Morris, David Bintley, Jean-Christophe Maillot ou encore Benjamin Millepied.

C'est donc à la tarte à la crème du ballet classique que s'attaque , entouré du décorateur-scénographe et du costumier . Il fait le choix de jouer à fond la carte de l'imaginaire enfantin, tout en s'affranchissant en grande partie de l'académisme du Casse-Noisette traditionnel.

Belarbi transpose le premier acte dans un pensionnat de type années 1950, symbolisé par les blouses grises et la surveillante guindée. Marie est une petite fille aux cheveux poils de carotte et aux allures de Fifi Brindacier. Jeux d'enfants, tours de passe-passe du magicien Drosselmeyer, arrivée des parents qui viennent chercher leurs bambins pour les vacances, l'action est portée par un rythme à la fois frais, léger et dansant, très adapté à la musique de Tchaïkovski. Les couleurs sont bien choisies, entre le gris des lits et des murs et les couleurs vives des habits des enfants. La danse est libre, d'un style contemporain assez personnel à Belarbi, où l'on peut déceler l'influence de Mats Ek.
Une distribution de cadeaux a lieu pour les orphelins qu'aucun parent n'est venu chercher. Parmi les jouets distribués, Marie reçoit un casse-noisettes. Pendant que les autres enfants s'endorment, Marie ouvre le placard où son cher casse-noisettes a été rangé et découvre son jouet métamorphosé en pantin de taille humaine, un peu pataud mais capable de bouger. Les autres jouets s'animeront également pour former le Club des Cinq Jouets, référence explicite aux célèbres romans de la bibliothèque rose – qui parlera sans doute davantage à l'imaginaire des parents qu'à celle des enfants !

La fin du premier acte est marquée par l'entrée de la reine des Arachnides, qui remplace le roi des souris de la version de Petipa. Cette transformation est-elle motivée par l'araignée d'Harry Potter, Aragog, plus évocatrice pour les enfants d'aujourd'hui ? Malheureusement, le combat qui n'en est qu'un simulacre, vire à la caricature. Casse-Noisette perd un bras dans la bataille et est condamné à danser (ou plutôt se mouvoir) avec un bras en écharpe. L'intérêt – limité – pour l'histoire nécessait-il d'entraver ainsi le personnage principal du ballet ? Jusqu'au milieu du deuxième acte, on ne verra pas Casse-Noisette danser autrement que maladroitement, avec les gestes saccadés d'un pantin désarticulé.

Le deuxième acte reprend le déroulé du ballet classique avec l'alternance des danses espagnole, indienne (devenue danse orientale), chinoise, russe et française. L'ouverture du deuxième acte est un festival de couleurs et il faut saluer les magnifiques robes arc-en-ciel à cerceaux de .
Destiné à émerveiller les enfants, l'effet visuel ne pourra masquer la réduction drastique des parties dansées. L'idée de transformer les danseurs espagnols en grenouilles est amusante mais rend toute danse d'emblée impossible et crée un décalage avec la musique hispanisante qui ne fait pas sens. La danse indienne perd toute sa noblesse mystérieuse pour se transformer en ballet de bibendum comique. La danse russe intègre des références à l'industrialisation soviétique, un peu hors de propos. Tous ces tableaux sont parsemés de bras – accrochés au plafond comme du saucisson dans la danse française – en écho au cauchemar de Casse-noisette qui vient de perdre le sien.

Après la succession des danses folkloriques, vient la métamorphose de Casse-Noisette et de Marie en prince et princesse, qui ouvre la voie à un vocabulaire des plus académiques. Pour laisser le temps à la magie d'opérer, intercale la fameuse Valse des Flocons de neige. Les danseuses vêtues de longues robes blanches et toques de fourrure à la russe, tourbillonnent dans une chorégraphie agréable mais très simplifiée, entre des bonshommes de neige à mi-chemin entre le sapin et le père Noël. La métamorphose s'opère et apparaissent Casse-Noisette en prince (avec un bras tout neuf, fort heureusement !) et Marie en superbe princesse, tutu blanc scintillant de paillettes. S'ensuit le fameux adage de Casse-Noisette, dans un académisme sans originalité qui contraste avec la première partie du ballet de facture plus contemporaine. La virtuosité de , dont les sauts sont impeccables, et de , est parfaite, mais là encore la chorégraphie a été simplifiée. La scène manque de vie et le hiératisme du corps de ballet, flocons assis par terre en alternance avec les bonshommes/sapins de Noël, ne peut que souligner le caractère artificiel de cette scène.

Les deux actes apparaissent donc déséquilibrés, oscillant entre rupture et continuité, modernité et académisme. Cet entre-deux est somme toute décevant aussi bien pour ceux qui auraient souhaité voir un Casse-Noisette profondément renouvelé que pour les aficionados du ballet classique qui souffriront de la réduction des parties dansées.

Crédits photographiques : © David Herrero

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