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Boulez expressif par Pascal Gallois et l’ensemble Prague Modern

Quatre-vingt-cinq ans séparent les deux pièces centrales de cet enregistrement – Verklärte Nacht et Dérive 1 –, signées de deux tenants de l'avant-garde, dont les noms accolés constituent le titre de l'album signé par , le pianiste Dimitri Vassilakis et l'ensemble , avec une réussite inégale.

Selon , ces deux œuvres apparemment éloignées sont proches par leur dimension poétique, celle du romantisme allemand à son acmé pour la première et « un retour vers l'impressionnisme et le style proche du Debussy du début du XXe siècle » pour la seconde.

Certes, Dérive 1 (1984) est une œuvre chatoyante mêlant les timbres, où, brièvement vers la fin, la flûte soliste s'enroule langoureusement. Cela dit, une sorte de lyrisme expressionniste caractérise plutôt cet opus, qui procède par dérivation et prolifération. Tout repose sur le chiffre six : l'instrumentarium, celui du Pierrot lunaire – flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano – plus le vibraphone ; et l'accord de départ, solmisation du nom de Paul Sacher, dont sont dérivés cinq autres hexacordes. Les instruments se poursuivent dans une course folle jusqu'à atteindre l'exacerbation harmonique maximale avant de retomber dans une méditation horizontale. Moins monolithique que celle du Maître à la tête de l'Ensemble Intercontemporain (DG, 2002), l'interprétation du et de privilégie l'expressivité de chacun pour le plus grand plaisir de l'oreille.

« Œuvre ouverte » laissant du choix à l'« opérateur », la Troisième Sonate (1955-1957) ne connaît pas deux versions pareilles. C'est pourquoi , qui signait en 2012 und das Klavier, a renouvelé l'expérience. Pour sentir une vraie différence, il faut se reporter au Boulez/The Three Piano Sonatas (DG, 2005) et à Paavali Jumppanen, au jeu plus dynamique et contrasté. Ce pianiste est davantage dans le son, le faisant vraiment exister, notamment par sa résonance. De fait, la musique se laisse mieux approcher et comprendre. À l'inverse et paradoxalement, la lecture de Vassilakis serait-elle plus boulézienne et moins pianistique ? La question elle aussi reste ouverte !

Les cordes du s'attaquent à Nuit transfigurée (1899), œuvre intérieure, tourmentée et plus âpre dans sa version pour sextuor. Mais, peu homogène, décousue, hésitante, cette exécution ne convainc pas, surtout si on la compare à celle du épaulé par l'altiste Jiri Najnar et le violoncelliste Vaclav Bernasek (CD Calliope, 1989), qui forment un ensemble fondu et tendu dans un bel élan.

Fragment d'une ébauche (1987), long d'une demi-minute, n'avait jamais été enregistré. Boulez le composa pour le Prix Nobel de chimie Jean-Marie Lehn. Vassilakis conduit vigoureusement cet ostinato sautillant.

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