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Kreatur de Sasha Waltz : création française à Dijon

Dans sa dernière création, Kreatur, la chorégraphe s'interroge sur le parcours de vie d'une créature. De son apparition dans le monde du vivant à l'acte sexuel qui signe en fait sa mort et en passant par sa vie sociale, la vie d'un être est-elle « fantastique » comme le clament fugitivement les danseurs, ou bien n'est-elle qu'une « vallée de larmes » ?

La bande-son, qui constitue la colonne vertébrale du ballet, fait la part belle aux basses. Tantôt laissant la place à un rythme rapide comme les battements du cœur, tantôt composée de nappes  sonores qui correspondent à l'éclosion des chrysalides et à la dernière partie du spectacle, dévolue à l'amour.La section rythmique soutient toute la partie centrale, plus agressive, qui évoque la vie sociale. Cette bande-son inclut aussi des bruits réels, poétiques parfois comme des chants d'oiseaux et des bruits de vagues, mais le plus souvent menaçants comme des paroles décomposées et des coups de grosse caisse. L'ensemble donnerait plutôt la sensation d'une cérémonie tribale inquiétante.

L'évocation de la naissance de l'être humain est une réussite absolue : la lumière apparaît très progressivement sur des cocons à pattes, danseurs ficelés dans des sortes de chrysalides cotonneuses très légères qui les enveloppent jusqu'aux genoux ; petit à petit, des bras sortent de ces enveloppes qui finissent par tomber, dévoilant un homme ou une femme. Mais, en même temps, surgissent des sortes de monstres composés en fait de deux danseurs imbriqués les uns dans les autres ; ces créatures, sortes d'insectes, sont déjà inquiétantes en elles-mêmes à cause de leurs mouvements saccadés. Le geste anguleux est d'ailleurs une constante de la chorégraphie. Il véhicule cette sensation de violence mais aussi de contrainte. Le thème de l'insecte se retrouve aussi dans les costumes de la seconde partie, transparents comme des élytres.

La section centrale est la plus développée. Elle présente parfois des longueurs mais touche à beaucoup de sujets liés à la vie en société : ici, la chorégraphie met en scène les danseurs en tutti . Il faut souligner que ceux-ci ont effectué un travail approfondi de synchronisation du geste saccadé, comme des déplacements compacts. L'impression donnée est forte, celle d'une détermination aveugle et aussi celle d'une machine sans affects. En outre, les corps sont tordus, en tension permanente, ce qui accentue bien sûr la sensation de pression et de violence. Les thèmes sociaux évoqués ne sont pas très romantiques ! Les mouvements des réfugiés qui finissent par disparaître dans les flots, la violence réservée aux femmes, le rejet de certaines composantes du corps social, la domination des uns sur les autres, tout cela ancré dans la réalité, accentuent la noirceur du propos.

La dernière partie commence de façon inattendue avec l'apparition de la mélodie musicale. Puis, la chanson Je t'aime moi non plus dans sa version originale, apporte une sensualité torride qui surprend dans ce contexte. Bascule-t-on dans le registre de la tendresse, voire de la romance ? Illusion de courte durée ! L'amour physique n'est qu'une violence supplémentaire… Les caresses sont des claques sonores, le coït est mécanique et répétitif.

La chorégraphie de n'a donc rien d'une bluette. Il faut lui reconnaître une plasticité sans défaut, une efficacité évidente dans son propos, dépourvu de toute illusion sur la nature humaine.

Crédits photographiques : © Sebastian Bolesch

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