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La Biennale de quatuors en terre viennoise

Après les quelques créations de la semaine, la Biennale se concentre pour son week-end final sur le creuset viennois.

La organisée par la Philharmonie de Paris en est à sa huitième édition ; quel thème pouvait-on bien trouver pour donner, sinon une unité, du moins un fil conducteur à la vingtaine de concerts qui se succèdent dans les deux salles de la Cité de la Musique ? Vienne, bien sûr : la ville est tellement au centre de l'histoire de la musique qu'elle permet de fédérer les répertoires les plus divers. La mise en œuvre du thème a cependant une faiblesse : Haydn, que la Biennale n'a jamais mis à l'honneur, est à nouveau presque absent, et le seul quatuor au programme du week-end final, confié au , déçoit par sa raideur et un manque de couleurs rédhibitoire ; il n'est présent par ailleurs que pour le quatuor de Mozart interprété par le , le deuxième du cycle dédié à Haydn : les jeunes musiciens s'y montrent à la fois d'un sérieux presque ombrageux et d'une grande séduction sonore. Vienne, c'est donc ici avant tout Schubert, dont l'œuvre intégral avait été donné lors d'une précédente biennale, et surtout Beethoven, qui a cette année les honneurs de l'exhaustivité.

Le sacre des Casals

On entend ainsi, sous les archets du , la belle transcription que Beethoven lui-même a tirée de sa Sonate pour piano op. 14 n° 1, passionnante radiographie de la pensée musicale de Beethoven. Les quatre interprètes laissent voir tout au long du concert le degré de maturité atteint aujourd'hui par un ensemble qu'on avait pu trouver, à ses débuts, souvent aigre et forcé : que ce soit dans le premier quatuor de l'opus 18 ou dans la forme majestueuse de l'opus 131, les Casals forcent l'admiration par la pure beauté du son autant que par la hauteur de vue ; l'intensité spirituelle des mouvements lents, sans mièvrerie et sans effets, laisse le public suspendu – dommage que l'horaire du concert (le samedi à 11 heures) ait laissé une salle à moitié vide pour un concert si passionnant.


L'autre événement beethovenien de ce week-end est sans nul doute le programme consacré par le à l'opus 130/133, « enrichi » par des pièces plus ou moins récentes jouées entre les différents mouvements. Le concept du concert, intitulé « In mysterious company », a été mis à mal par une erreur de la Philharmonie, qui a distribué dès le début du concert la liste des œuvres adventices, alors qu'elle n'aurait dû être communiquée qu'après le concert : il n'est pas sûr que cela change grand-chose à notre écoute ; toujours est-il que le processus ne convainc guère, surtout quand certains de ces ajouts ne valent pas mieux que le sentimental et poussiéreux adagio du Quatuor op. 11 de Barber ou qu'un fragment sans intérêt du cycle Arcadiana de Thomas Adès – sans parler d'une pièce platement bruitiste de Paweł Szymański, censée anticiper les grands gestes de la Fugue op. 133. Du moins la pièce maîtresse du concert, elle, ne déçoit pas : à quelques maniérismes près, grands gestes dans les passages agités ou allègements du son confinant à l'inaudible dans les passages piano, c'est un Beethoven intense, attentif aussi bien aux grands équilibres architecturaux qu'aux détails expressifs, que les Belcea donnent à entendre.

De Schubert, le interprète le juvénile Quatuor n° 10, sans vraiment réussir à faire illusion sur la qualité encore modeste de la musique composée par l'adolescent ; le , lui, a une meilleure donne avec le Quintette « La Truite », où il est soutenu avec délicatesse et poésie par : en miroir avec le Quintette de Dvořák, tous balancent élégamment entre énergie et délicatesse, avec un discours musical d'une grande clarté.

Au-delà du classicisme viennois

Vienne n'a pas cessé de produire de la musique pour quatuor avec l'avènement de la modernité : les précieux joyaux que sont les Bagatelles op. 9 de Webern sont ce que le réussit le mieux ; mais la programmation de ce week-end, peut-être dans l'idée peu ambitieuse de parler d'abord à un public familial, ne franchit que trop rarement le seuil du XXe siècle. Il y a, certes, une création, le beau et très beethovenien Neben, courte pièce d' ; il y a le second quatuor de Zemlinsky efficacement défendu par le , et même le premier quatuor de Ligeti en guise d'excursion austro-hongroise ; mais on aurait aimé un peu plus d'audace dans cette direction.

Le plus exotique de cette Biennale est sans doute le , à qui est confiée la soirée du samedi devant une salle comble. Les musiciens russes choisissent en effet un programme presque entièrement russe, assez loin de Vienne ; mais le plus incongru de cette soirée est encore leur interprétation du célèbre Quartettsatz de Schubert : à force de legato éhonté, Schubert se retrouve totalement privé de toute aspérité. La sonorité d'ensemble est brillante, sonore ; on ne peut leur en vouloir de choisir comme bis des Variations sur un caprice de Paganini qui sont un improbable sommet de kitsch musical : c'est sans doute ce qu'ils savent faire de mieux.

La Biennale est quelque chose comme une Olympiade du quatuor : ces huit concerts illustrent à merveille la vitalité de la musique de chambre, par le talent de ces jeunes et moins jeunes ensembles, mais aussi par l'enthousiasme du public – dans ces conditions, malgré le charme de ce marathon hivernal, on ne peut manquer de penser que la Biennale ne fait que pallier l'absence d'une saison parisienne de musique de chambre comparable à celle que propose à Londres le Wigmore Hall, et qui, après tout, ne coûterait guère qu'une petite fraction de ce que Paris consacre à ses orchestres.

Crédits photographiques : © Verena Chen ; © igorcat ; © JJ Renard

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