Soyons francs : Mârouf, savetier du Caire est un petit chef d'œuvre, bijou d'humour et de raffinement dans lequel Henri Rabaud se montre l'égal de ses contemporains amateurs d'exotisme orchestral, qu'ils se nomment Vincent d'Indy (Istar), Florent Schmitt (La Tragédie de Salomé) ou Paul Dukas (La Péri).
C'est dire le bonheur de retrouver, dans l'admirable écrin du théâtre de Victor Louis à Bordeaux, la délicieuse production de Jérôme Deschamps déjà proposée salle Favart en 2013 avant d'y retourner bientôt. On y retrouve avec un plaisir sans mélange les décors assez neutres d'Olivia Fercioni qui laissent place à l'imagination débridée et infiniment séduisante des costumes de Vanessa Sannino, tout comme à la mise en scène inventive et pleine de fantaisie de Jérôme Deschamps.
Dans la fosse, Marc Minkowski et son orchestre parent des couleurs d'un Orient de convention les charmes mélodiques de la partition, et ne laissent à un aucun moment languir l'action. Côté distribution, on retrouve avec plaisir le Mârouf de Jean-Sébastien Bou, naïf savetier vite débordé par les événements qui surviennent. Grâce à lui, le texte demeure d'une intelligibilité parfaite, même si quelques fugitifs signes de fatigue vocale se font sentir dans les deux derniers actes. Délicieuse Saamcheddine de Vanina Santoni, qui contraste avec la redoutable Fattoumah (« la calamiteuse » première épouse de Mârouf) dont, décidément, l'écriture tendue de Rabaud rend le discours difficilement compréhensible. Enfin, au-delà des seconds rôles, excellents dans leur ensemble, on ne peut que saluer le noble sultan de Jean Teitgen, comme le vizir de Franck Leguérinel, dont la sagacité causera la perte.
On se réjouit de revoir ce petit chef d'œuvre reprendre sa place au répertoire et on ne peut que conseiller aux mélomanes parisiens de se précipiter pour sa reprise salle Favart.