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Schoenberg et sa Société d’exécution musicale privée, par le Linos Ensemble

Le publie son quatrième disque consacré au répertoire pratiqué à Vienne au sein de la Société d'exécution musicale privée d'. L'entreprise musicale, quoique sympathique, s'avère frustrante sur le plan du minutage et de la finition des interprétations.

eut la volonté, au sortir de la Grande Guerre, de créer à Vienne, par nécessité culturelle et créatrice, une société musicale privée où l'on donnerait tant des créations récentes venues de tout horizon (Stravinski, Bartók, et même Debussy, alors quasi-honni en territoire germanique), que des reprises d'œuvres insignes de la culture musicale « Jugendstil » germano-autrichienne, quelque peu mises à l'écart des programmes de concerts dans le contexte historique économiquement peu favorable. Figuraient ainsi souvent au programme des œuvres signées Mahler, Reger, Zemlinsky, Schoenberg lui-même (et son école). Toutefois, les effectifs symphoniques parfois pléthoriques ou très singuliers devaient, dans le cadre d'une société privée aux moyens financiers assez spartiates, faire l'objet d'arrangements ou transcriptions sans trahir l'esprit des rédactions originales : une tâche à laquelle s'attelèrent avec zèle et inspiration le génie du lieu et ses disciples, durant les quelques années d'existence de l'institution.

Le rapprochement piquant proposé par ce (court) programme permet d'entendre des œuvres ayant connu, sous la plume même de leurs auteurs, plusieurs moutures, du piano (pour la Berceuse élégiaque de Busoni, ou l'accompagnement des Maeterlinck-lieder de Zemlinsky) ou du grand ensemble de chambre (quinze instruments) chez Schoenberg pour sa Première symphonie de chambre, vers l'orchestre symphonique. Il s'agit donc ici d'un travail de réduction « à rebours ». La radiographie de l'œuvre encore tonale de Schönberg sous le regard d' (et avec, comme cadre instrumental, l'effectif exact du Pierrot Lunaire de son mentor) garde toute l'alacrité incisive de l'original, tout en clarifiant les écheveaux polyphoniques ou événementiels les plus complexes. Les arrangements d'Erwin Stein de la blafarde Berceuse héroïque de Busoni ou des lieder 2 et 5 du cycle très « fin-de-siècle » sur des poèmes de Maeterlinck de Zemlinsky, complété opportunément dans cette disposition par Andréas Tarkmann (une commande des présents interprètes), sont tout aussi respectueux du texte et admirables de délicatesse.

Le , fondé voici plus de quarante ans, par le hautboïste Klaus Becker, groupe à géométrie très variable, regroupe d'éminents professeurs allemands et de souvent excellents instrumentistes actifs outre-Rhin ; il est déjà bien connu des mélomanes, et des discophiles. Son répertoire très vaste s'étend de la famille Bach à nos jours. Il bénéficie de l'appui de nombreuses radios des divers Länder germaniques, et a enregistré des répertoires souvent rares pour les labels CPO ou Capriccio. C'est ici le quatrième volume, chez ce dernier éditeur, d'une série consacrée aux arrangements pensés (ou achevés dans l'esprit) de l'association viennoise que nous avons évoquée.

Le quintette réuni pour le versant Schönberg/Webern est assez inégal : si la pianiste Konstanze Eickhorst, ancienne lauréate du concours Reine Elisabeth de Belgique, aère en parfaite chambriste les textures et relance sans cesse le discours, avec beaucoup d'à-propos, et si les vents y sont excellents de verdeur et d'engagement, le résultat est quelque peu invalidé par la timidité du violoncelle de Mario Blaumer, et surtout par la sonorité par moment assez laide et la justesse approximative du violon de Kersten McFall. Pour ce splendide arrangement, valant bien l'original, autant se tourner vers l'épique version des Boston Symphony Chamber Players, sous la houlette du grand Joseph Silverstein, que Deutsche Grammophon vient de republier opportunément dans son édition monumentale consacrée à la grande phalange américaine.

Les Maeterlinck-lieder d' sont ici oblitérés par la voix de Zoryana Kushpler, au vibrato envahissant et au legato fruste. L'arrangement raffiné et la réalisation instrumentale sauve quelque peu la mise, sans toutefois préserver l'atmosphère de serres chaudes du cycle, et ne fait pas oublier dans une rédaction chambriste plus opulente due à Christopher Austin, la très belle réalisation de Katie Bray avec l'inattendu Trevor Pinnock à la tête de l'ensemble de chambre de la Royal Academy of Music, au sein d'une série similaire de disques publiés chez Linn, ni bien entendu les deux visions qu'Anne Sofie von Otter, tant avec piano (Cord Garben) qu'avec orchestre, dirigé par un autre baroqueux d'origine, John Eliot Gardiner (toutes deux chez DGG) a données de cet étonnant cycle mêlant raffinement quasi-français dans l'écriture à un Jugendstil librement post-mahlérien dans l'intention.

Une version accomplie, mais un peu trop réservée, de la Berceuse élégiaque de , sorte de remémoration musicale d'un fils au chevet de sa mère défunte, ici revisitée par Erwin Stein de nouveau, conclut ce très bref disque (moins de cinquante minutes !). Nous préférons aussi ici le disque Linn concurrent de Trevor Pinnock, où l'apport d'un chef impliqué permet de dépasser la simple mise en place, et d'accéder à l'expressivité morbide et glauque de cette page sublime et toujours étonnamment moderne.

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