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Week-end In & Off au festival Présences de Radio France

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Paris. Maison de la Radio. Festival Présences. 10-II-2018. Auditorium. Olivier Messiaen (1908-1992) : Oiseaux exotiques pour piano et ensemble ; Lionel Bord (né en 1976) : Folia pour six instruments ; Thierry Escaich (né en 1965) : Chorus pour quatuor à cordes, clarinette et piano ; Philippe Leroux (né en 1959) : Total SOLo pour 28 instruments. Dimitri Vassilakis, piano ; Ensemble Intercontemporain ; direction : André de Ridder
11-II-2018. Agora. Bastien David (né en 1990) : On/Off pour deux accordéons microtonals ; Régis Campo (né en 1968) : Licht / Un hommage à Gérard Grisey pour accordéon microtonal ; Philippe Hurel (né en 1955) : Plein jeu pour accordéon et électronique ; György Ligeti (1923-2006) : Hungarian rock pour deux accordéons (arrangement du duo Xamp) ; Improvisation. Duo Xamp : Fanny Vicens et Jean-Étienne Sotty, accordéons chromatiques et microtonals
11-II-2018. Auditorium. Henri Dutilleux (1916-2013) : Mystères de l’instant pour 24 cordes, percussions et cymbalum ; Thierry Escaich (né en 1965) : Concerto n°2 pour orgue, cordes et percussions ; La piste des chants, cinq chansons amérindiennes pour chœur d’enfants et orchestre (création mondiale) ; Laurent Cuniot (né en 1957) : L’ange double, concerto pour hautbois et orchestre (création mondiale). Olivier Doise, hautbois ; Thierry Escaich, orgue ; Maîtrise de Radio France ; Sofi Jeannin, chef de chœur ; Orchestre Philharmonique de Radio France, direction : Mikko Franck

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philippe lerouxStudios, auditorium et agora (un nouvel espace dans la Maison ronde consacré aux concerts-performance), accueillaient ce week-end une quinzaine de concerts à l'affiche du Festival Présences de Radio France.

C'est la première fois que Présences invite dans ses murs l'Ensemble Intercontemporain, à l'Auditorium qui plus est, un espace bien sonnant qui donne l'envergure souhaitée à un concert de tout premier plan. Il débute avec Les Oiseaux exotiques pour piano et petit orchestre (sans les cordes) d'Olivier Messiaen, chef d'œuvre du Maître « ornithologue et rythmicien ». L'œuvre a été commandée par Pierre Boulez pour le Domaine Musical, et s'inscrit très vite au répertoire de l'ensemble Intercontemporain. Quarante huit oiseaux de continents différents fournissent le matériau de cette partition aussi concise qu'affûtée, ménageant un grand tutti central, dûment canalisé par le réseau rythmique de la percussion. Sous la direction d', l'ensemble des vents et percussions confèrent tout à la fois saveur et plénitude à ces pages très colorées. Dans un jeu baigné de lumière et une sonorité presque sensuelle, fait joliment chanter la Grive des bois et autres Mainate hindou et Cardinale rouge de Virginie.

Refermant la première partie du concert, Folia de Lionel Bord (compositeur et bassoniste de l'Orchestre de Paris) est une commande de l'EIC et de Radio France. Si le thème de la Folia, bien connu des interprètes de musique baroque, résonne sous les doigts de la harpiste Frédérique Cambreling au tout début de l'œuvre, c'est davantage l'idée de la folie, douce ou furieuse, qui se profile à travers les douze variations suivantes. Elles sont écrites à l'adresse des six solistes virtuoses qui exécutent ce soir, sans chef, une partition rien moins qu'éprouvante, de par ses tours et détours acrobatiques. Rageur, éruptif, obsessionnel, bruité, énigmatique, le matériau est sans cesse haché, malaxé, distordu, filtré. Seul le hautbois d'amour ( en vedette) en esquisse la mélodie originelle dans une sensibilité microtonale très baroquisante. La référence affleure dans l'ultime variation, où le cor en folie de balaie le spectre sonore avec une agilité étourdissante. La réaction du public est à la hauteur de la performance des artistes !

Plus sage, mais non moins virtuose, Chorus de Thierry Escaich fait référence au jazz et renoue avec la basse obstinée – le ground purcellien plus exactement – appelant les variations à l'instar de la Folia. La pièce est écrite pour piano, clarinette et quatuor à cordes, mettant en valeur la chaude sonorité du jeune clarinettiste Martin Adamek à la faveur de soli très ciselés. L'écriture est un jeu de lignes et contre-lignes faisant revenir une litanie des cordes traitées dans leur registre aigu. Les dernières pages misent sur l'énergie et le rythme implacable, menant au sommet de tension attendu où fusionnent toutes les sonorités.

L'EIC est pratiquement au complet dans Total S0Lo de Philippe Leroux, une pièce écrite pour les solistes de l'Intercontemporain qui l'ont créée en 2014 sous la direction de Bruno Mantovani. Après quelques corrections de détail, aux dires du compositeur, la pièce confirme ce soir, dans l'acoustique chaleureuse de l'Auditorium, son statut de chef-d'œuvre. Sorte de mot-valise, le titre en révèle l'idée centrale, à savoir les relations entre le/les solistes et le tutti, entre un total fusionné ou dissocié : « autant de métaphores », précise le compositeur dans sa note d'intention, « entre un individu et son environnement proche, entre une foule unie et une multitude divisée… ». La matière est riche et l'imaginaire à l'œuvre au sein d'une écriture éminemment libre et aventurière, qui ne s'inscrit pas moins dans les réseaux d'une pensée formelle magistralement élaborée. Si l'alliage des timbres, l'intégration très fine de la percussion et l'articulation étonnante des figures sonores captivent l'écoute, l'intervention des solistes n'en étonne pas moins, au sein d'une partition qui réinvente le concerto pour orchestre : cor, petite trompette, flûte basse, cor anglais, contrebasse et violon relaient leur voix éloquente dans une sorte de concertino. Ils fonctionnent au sein du tutti ou s'expriment à nu, tissant une dramaturgie au fil de leurs interventions. Le solo de violon au terme de la trajectoire cloue littéralement le bec à l'ensemble, exaltant dans un geste totalement délié la qualité plastique autant qu'expressive de l'écriture d'un compositeur au sommet de son art.

Festical Off à l'Agora

L'Agora est une rotonde à l'acoustique généreuse où les musiciens du GRM (Groupe de Recherche Musicale), le contrebassiste , les improvisateurs et Mats Gustafsson ou encore l'étonnant avaient carte blanche durant quelques quarante minutes programmées en avant ou en après-concert : sorte de festival off qui permettait de croiser différentes expressions artistiques et de faire intervenir l'électronique au sein d'une programmation où le support vidéo restait néanmoins totalement absent.

600x337_duo-xamp-1-768x565Ce ne sont pas deux accordéons, mais quatre, qui trônent sur scène ce dimanche après-midi dans l'agora. Fanny Vicens et Jean-Étienne Sotty () ont en effet chacun deux instruments, l'un chromatique et l'autre microtonal. Le prototype a été créé très récemment par le luthier Philippe Imbert et a déjà suscité une vingtaine d'œuvres originales, ne cessant d'interpeller la curiosité des compositeurs. Ainsi ce petit bijou conçu par , Licht Un hommage à Gérard Grisey (déjà entendu à Perpignan), qui crée l'émotion dès le début du concert sous les doigts experts de Fanny Vicens. Son accordéon microtonal y déploie un spectre sonore aussi soyeux qu'irisé dans l'esprit et le temps long du shô japonais. Jean-Étienne Sotty qui déambule derrière le public et joue en canon la grille d'accords, en prolonge la résonance. Une courte improvisation des deux interprètes fait le lien avec l'éruptif Hungarian Rock de György Ligeti, une pièce pour clavecin transcrite par le pour deux accordéons chromatiques. Celui de Jean-Étienne Sotty entretient l'ostinato rythmique sous la partie rhapsodique et non moins énergique de sa partenaire. Avec On/Off pour deux accordéons microtonals, on retrouve à l'affiche , jeune trublion de la création qui explore l'effet troublant des battements entre les fréquences ultrachromatiques. Mais c'est au jeu des boutons, ouverts et fermés, que fait référence le titre. Originale et joliment bruitée, la dernière séquence joue sur le crépitement singulier des doigts sur les touches boutons laissant filtrer de manière aléatoire quelques pixels colorés.

Avec Plein-jeu pour accordéon et sons fixés de Philippe Hurel, on aborde l'instrument « augmenté » qu'appellent de leurs vœux les deux interprètes virtuoses. À sa manière très physique de traiter la matière sonore et ses nervures rythmiques, Philippe Hurel signe ici une œuvre puissante où la partie live tend à se fondre dans celle de l'électronique en un méta-instrument, pour rivaliser avec l'orgue évoqué dans le titre. L'agora est l'écrin idéal pour la fusion des sources sonores et l'envergure d'une pièce magnifiquement défendue par Fanny Vicens.

THIERRY ESCAICHUn Auditorium comble pour le concert de clôture

À l'Auditorium, quelques minutes plus tard, l' et son chef titulaire sont sur scène pour un concert de clôture joué à guichet fermé. Deux créations mondiales s'inscrivent au programme d'une soirée à nouveau en présence de l'orgue, avec le Concerto n° 2 de Thierry Escaich.

Mystères de l'instant d'Henri Dutilleux, qui débute le concert, a été commandé au compositeur par le grand mécène et chef d'orchestre Paul Sacher. Il dut patienter quelques quinze années avant de recevoir la partition qu'il dirigea lui-même à la création. Le dispositif des 24 cordes, cymbalum et percussions offre une matière ductile que ce maître de l'orchestration traite avec raffinement et élégance. C'est un pâle reflet de cette écriture flamboyante et finement ciselée que nous livre ce soir , peu soucieux, semble-t-il, des enjeux de la partition.

L'orchestre ne brille pas plus dans le Concerto n° 2 pour orgue de Thierry Escaich qui a la vedette aux commandes de l'orgue Grenzing. Titulaire des orgues de Saint-Étienne-du-Mont, Thierry Escaich est aussi un fabuleux improvisateur, pratique qu'il mène tous azimuts et qui nourrit indéniablement sa composition. Peu réactif, l'orchestre manque de brillant et le discours s'enlise quelque peu dans les deux mouvements enchaînés du concerto, malgré la virtuosité et la puissance du jeu déployé par le soliste.

Invité par Présences à la tête de son ensemble TM+ au sein de cette édition, a également reçu une commande de Radio France donnée ce soir en création mondiale par le « Philharmonique ». L'Ange double est un concerto pour hautbois mettant sur le devant de la scène , membre du « Philhar » depuis 2009. Dans cette nouvelle œuvre, bien défendue par un chef et un orchestre dûment impliqués cette fois, le cheminement très personnel, la maestria de l'écriture inscrite dans l'univers microtonal et la tension expressive, entretenue par un soliste constamment sollicité, ne laissent d'impressionner. Si la virtuosité est à l'œuvre, dans des solos superbement joués par , on ne perd jamais le fil de la trajectoire, tendu par l'omniprésence d'un fa demi dièse au sein de l'orchestre. « L'Ange double est sans doute l'œuvre que j'aurai le plus écrite à la première personne » avoue , reconnaissant une dimension métaphysique dans cette quête de l'au-delà du timbre à laquelle il semble nous convier.

La préparée par est sur le plateau pour une dernière œuvre festive, la Piste des chants, commande de Radio France passée à Thierry Escaich. Dans cette pièce pour orchestre et chœur, le compositeur a mis en musique cinq textes de la tribu des Navajos, peuple d'Amérique du Nord dont le refrain, « Venez sur la piste des chants », convoque les voix fraîches des maîtrisiens, les trompettes et l'espace de quarte bien sonnante. Ritournelles, canons, scansion énergique, salves de wood-block et de toms, cette célébration de l'homme et de la nature, qui n'évite pas les clichés, oscille entre jubilation sonore et incantations plus mystérieuses.

Crédit photographique : Philippe Leroux © P. Raimbault ; Duo Xamp © Fanny Vicens et Jean-Étienne Sotty ; Thierry Escaich © Guy Vivien

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