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Pascal Dusapin ou l’affectif qui vous élève

Que la Philharmonie de Paris consacre un week-end à est mieux qu'un devoir, un acte salutaire, car elle montre qu'il est possible de sortir des schémas de prêt-à-composer et d'être reconnu et apprécié pour cela, non seulement à l'étranger, mais même en France. La dimension affective assumée par Dusapin et incarnée dans une architecture brillamment pensée n'est pas la moindre force de sa musique.

De l'intimisme onirique et pour tout dire assez hypnotique du concert intitulé Melancholia donné dans l'amphithéâtre de la Cité de la Musique au gigantisme orchestral de Morning in Long Island donné dans la foulée dans la grande salle Pierre Boulez, on tient là les deux extrêmes de l'écriture de . On y retrouve surtout les mêmes qualités de tenue du discours qui impressionne et d'humanité qui touche. De cet intellectuel franchement intimidant qui semble prendre tous les matins son petit-déjeuner avec Goethe et Beckett, émane une musique qui a de l'affectif, et qui emporte. Dusapin ne concède rien pour rester fidèle à ses exigences formelles, mais il refuse à ces dernières de dominer le discours. Elles sont l'enveloppe et la fondation, pas le cœur.

Le cœur de cette musique, on le trouve au milieu, c'est à dire au fond des œuvres. C'est frappant avec Morning in Long Island, pièce de 33 minutes composée en 2010 qui sera la première d'un cycle de trois « concerts » (sur le modèle du Cycle des 7 solos pour orchestre). Démarrant en longues nappes inquiètes et se concluant dans une catharsis endiablée, c'est dans la partie centrale que se cache, incarnée par le trombone, la douceur chaude de la vocalité.

Dans le concert Melancholia, le cœur est à rechercher vers Schubert dans des arrangements étonnants réalisés par Dusapin de Gretchen am Spinnrade pour clarinette, violon, alto, violoncelle et d'un Nacht und Träume pour musique électroacoustique enchanteur, à convaincre les plus réticents qu'un tel mariage soit possible. Il faut dire que  pratique et maîtrise son Dusapin de longue date (dès 2011, au Cabaret Contemporain) et qu'elle sait habiter cette musique hypnotique (Wolken, c'est à dire Nuages, sur des poèmes de Goethe). rythme ce concert de deux lectures de Compagnie de Beckett, donnant par sa voix faussement monocorde, au rythme sec et serré, comme une évocation de rap. Réalité ou illusion? On se plaît en tout cas à y voir encore un exemple de cette tenue intellectuelle affectueusement tissée de culture populaire.

La direction de la Philharmonie de Paris n'ayant pas encore bien maîtrisé le temps nécessaire aux spectateurs pour se rendre d'un concert à l'autre et d'un bâtiment (la Cité de la Musique) à l'autre (la Philharmonie), ni pris aucune disposition élémentaire pour s'assurer que ces mêmes spectateurs ne partent pas inutilement tôt, la fin de ce beau programme fut malheureusement perturbée par des translations de spectateurs mortifiés par leur propre – mais involontaire – impolitesse envers les artistes.  Pendant ce temps, la grande salle comble s'impatientait d'un retard que nul ne lui expliqua. On imagine que ladite direction aura présenté en leur nom ses plus plates excuses aux musiciens, et qu'elle veillera à l'avenir à développer une conception d'ensemble dans l'accueil de son public.

En deuxième partie du concert orchestral, et qui concluait ce week-end Dusapin, l' dirigé par donnait un Château de Barbe-bleue de luxe avec , brûlante mais finalement victime impuissante, et , écrasé par sa propre fatalité. Avouons que les splendeurs sonores renversantes déployées par l'orchestre (l'ouverture de la Cinquième porte, grandiose) nous auront plus séduit que le final de Morning in Long Island, certes très bien mis en place mais auquel il nous a semblé manquer un indispensable excès de folie.

Vite, un autre week-end Dusapin !

Crédit photographique : Pascal Dusapin © U. Nicoletti

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