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Après Chéreau, La Maison des Morts de Janáček inspire Warlikowski

Inspiré par l'univers carcéral du dernier opéra de , renoue pour sa première production à l'Opéra Royal de Londres avec la force des spectacles qu'il présentait une décennie plus tôt à Paris sous l'ère Mortier. Cette réussite trouve un écho dans la réalisation musicale, aussi efficace orchestralement que vocalement.

Pour sa première collaboration avec le Royal Opera House de Covent Garden, en partenariat avec l'Opéra de Lyon et La Monnaie de Bruxelles, n'aseptise pas sa proposition comme il l'a fait récemment avec Barbe-Bleue à Paris ni ne la noie dans un trop-plein de référence artistiques à l'instar de ses récents Don Carlos ou Die Gezeichneten. Il trouve au contraire l'inspiration dans une transposition moderne et épurée de l'univers du bagne tiré du livret du compositeur lui-même, d'après le célèbre ouvrage de Fiodor Dostoïevski.

De la Maison des Morts débute donc ici par les bruits de ballon d'un joueur de basketball s'entrainant au panier, avant l'apparition de la musique par l'Ouverture rythmée, saccadée de superbes accords offerts par l'orchestre maison, impactant tant aux cuivres qu'aux percussions (magnifique utilisation des chaînes de fer en fosse), mais surtout exactement coloré à l'aigu chez les premiers violons, dont se démarquent les sublimes soli du premier d'entre eux, le russe . Le chef Currentzis était d'abord prévu, mais a annulé voilà déjà plusieurs mois, remplacé par le directeur musical de l'autre salle lyrique de Londres, l'English National Opera, . Celui-ci maintient une ligne tendue et anguleuse tout autant que sensible pendant les trois actes et plus d'une heure trente de musique continue, sans entracte, en utilisant une version légèrement différente de celles retravaillées par les Tchèques Gregor ou Neumann, mais aussi de celle connue chez Decca du regretté Mackerras, spécialiste pourtant utilisé pour ses suggestions dans la présente édition 2017 de John Tyrell.

Une fois quelques paniers tirés, pendant l'ouverture apparaît l'image de l'autre figure tutélaire et référente avec Dostoievski pour décrire l'univers punitif, celle de Michel Foucault, dans une courte vidéo, muette mais sous-titrée. Ensuite seulement se laisse découvrir un ensemble de prisonniers, et dans le côté à jardin une boîte de verre transparente comme en prépare toujours la décoratrice . L'intégration dans un univers contemporain présente une remarquable efficacité, renforcée par une absence d'hypocrisie, puisqu'en plus d'utiliser l'un de ses chanteurs (noir de peau) fétiches, déjà très célèbre au Royaume-Uni, en la personne de Willard W. White, Warlikowski ajoute également une grande partie d'acteurs noirs sur le plateau, malheureusement l'une des populations les plus présentes dans les prisons occidentales. Ce fait ne masque ici aucun racisme, mais illustre bien au contraire le constat d'une dure réalité, toujours décrite par les défenseurs des droits de l'Homme dès Jean-Jacques Rousseau ou Victor Hugo.

Cette proposition puissante, qui offre à regarder pendant tout le spectacle, car toujours la vie d'êtres enfermés paraît exactement retranscrite, s'achève à la dernière note sur un magnifique lancer franc, dont on ne peut prétendre qu'il est rentré chaque soir avec autant de fluidité dans le panier, ni que les Lyonnais à la reprise l'an prochain feront aussi bien. À cela s'accorde une direction d'acteurs idéale , parfaitement adaptée à un plateau de choix, exceptionnelle dans la pantomime de l'acte II, avec un lot de travestis dont ressort comme chez Chéreau une superbe idée : celle de rendre à un chanteur masculin le rôle d'Aljeja en l'offrant à l'excellent ténor plutôt qu'à une soprano. L'autre rôle féminin, celui de la prostituée, revient seul à une femme, pour une tout aussi excellente prestation de la part d'.

Aux graves du grand Willard W. White en Alexandr Pertrovic Gorjancikov, chanteur déjà entendu dans la production Chéreau au Met, à la Scala et à Berlin, viennent s'interposer ceux plus dynamiques du Gouverneur d'. campe un Skuratov impressionnant à l'aigu, bien accompagné du Šapkin de , tandis que l'on retrouve avec toujours autant de plaisir le vétéran , autant voire encore plus en voix qu'en Monsieur Taupe à l'Oper Frankfurt en février. Le prisonnier Kedril de trouve une résonance par son accent british avec ceux du prisonnier alcoolisé de Jeffrey Lloyd-Robert et du petit prisonnier de Grant Doyle, mais ne perturbent pas les deux chanteurs les plus impressionnants du plateau après White, le Filka Morozov de , en prison sous le nom de Luka Kuzmič, ainsi que le Nikita, ensuite aussi gros prisonnier, de .

Cette superbe soirée sera à comparer très prochainement aux nouvelles productions de Frank Castorf pour la Bayerische Staatsoper et de David Hermann pour l'Oper Frankfurt, qui prouvent un peu plus encore le retour en grâce du chef-d'œuvre de Janáček sur toutes les scènes du monde.

Crédits photographiques : © ROH – Clive Barda

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