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Deuxième livre des Préludes de Debussy par Pollini

revient à Debussy en cette année du centenaire du décès de Claude de France. Las ! Si le grand pianiste italien propose, pour le Deuxième livre des Préludes, une vision à la fois puissamment architecturée ou savamment distanciée, il pèche par une palette sonore assez pauvre, un ascétisme expressif stérilisant, et surtout par une mise en place technique parfois brouillonne ou brutale, très inattendue sous de tels doigts autrefois plus infaillibles.  

L'approche plus intellectuelle qu'instinctive du piano debussyste selon nous avait valu, pour son éditeur fétiche Deutsche Grammophon, malgré une prise de son peu réussie, une version quasi idéale des Douze études voici un quart de siècle. Les Préludes du Premier livre, parus en 1999, pensés selon le même angle d'attaque, mais avec un « pianisme » un peu plus chatoyant (et bien mieux capté) avaient pu également séduire.

L'interprète a remis bien trop tardivement sur le métier l'ouvrage pour un décevant Deuxième livre capté de manière abrupte et trop directe en l'Herkulessaal de Munich fin 2016. Bien entendu, Pollini refuse toute approche pittoresque ou presque touristique ; les Bruyères ne se souviennent plus du Little Shepherd des Children's Corner ; la Puerta del Vino oublie ici, pour un cubisme sonore très affûté, à la limite de la brutalité, la carte postale, envoyée au compositeur français par Manuel de Falla et inspiratrice de la page. Les Brouillards tiennent ici de l'étude statistique, quasi stochastique, des registres du clavier, plus que d'un phénomène atmosphérique. Certes, à ce jeu, une page plus abstraite comme la « presque-étude » des Tierces alternées subit mieux cette approche au scalpel que des Feuilles mortes ou une Ondine incons(is)tantes ou précipitées.

Cette objectivation du discours préfère presque trop l'épure à la couleur, l'intellect à la chair, la netteté du contour à tout flou aquarelliste, et une certaine sécheresse à tout naturel de vie intrinsèque. Après de multiples écoutes, avouons toujours une réelle surprise quant à la rapidité asphyxiante des tempi et à la respiration trop courte insufflée à ces pages. Trente deux minutes pour visiter le cycle, c'est bref. Faire le tour de la Terrasse des audiences du clair de lune en trois minutes trente est même expéditif. Certes, une Marcelle Meyer (Warner ou Intensemedia) nous avait déjà invité à repenser les tempi de ces préludes, mais avec un sens de la couleur inné, un chaleureux humanisme ou une sensualité à fleur de peau, éléments qui font ici cruellement défaut à cette approche presque schématique.

Car d'une part, techniquement, cet album est indigne du grand pianiste italien : gruppetti approximatifs dans Brouillards ou Feux d'artifice, usage abusif de la pédale au début de Canope quasi ânonné, incroyable dureté sonore dans la Puerta del Vino, traits boulés  d'Ondine, et à l'opposé, prudence approximative dans de balourdes Fées, loin d'être ici d'exquises danseuses. De l'autre côté, par une lecture assez bâclée de la partition, Pollini néglige les nombreuses indications purement subjectives ou les nuances dynamiques et de tempi soigneusement indiquées, restituées ainsi a minima. Dans Feuilles mortes, on frise le massacre ou le contre-sens ; où est le Doucement soutenu et très expressif inaugural ? Et quelques mesures plus tard, un peu plus allant et gravement expressif devient prétexte à un accelerando aussi subit que brutal. Même l'humour décalé du Général Lavine – eccentric et sa parodie d'ambiance de caf'conc', ou celui plus à froid, espiègle et british, de l'Hommage à S. Pickwick, échappent complètement à notre interprète.

Heureusement, pour ce Deuxième livre, nous disposons des versions follement colorées de Claudio Arrau (Decca) ou Krystian Zimerman (DG), de la poésie subtile d'un Dino Ciani (Brilliant ou DG), de l'approche moderne, mais fruitée d'une Catherine Collard (rééditée chez Newton classics) ou celle plus historiquement informée d'Alain Planès (Harmonia Mundi, après une déjà remarquable première version sur piano moderne chez Harmonic records, à rééditer), sans oublier bien entendu Walter Gieseking surtout dans ses enregistrements de session d'avant guerre (1936-38) (EMI-Warner, réédition Lys) préférables à notre sens à sa gravure mythique des années 50.

Seule une version attachante d'En blanc et noir, en compagnie de son fils Daniele, remarquable, permet de retrouver toute l'acuité et la précision de , capté sous un jour plus heureux, même si nous n'oublions pas dans ce cycle tardif désarmant et presque désabusé toute la verve nostalgique qu'y instillaient Martha Argerich et Stephen Kovacevich (Decca, mais aussi en concert). En résumé, un disque globalement aussi décevant que trop tardif, qui n'apporte rien à la gloire de l'immense pianiste italien, ni surtout à celle de !

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