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À la Monnaie, Lohengrin selon Olivier Py

La nouvelle production de Lohengrin à la Monnaie de Bruxelles ose la polémique par le biais de la mise en scène discutable mais passionnante d', fertile réflexion sur les conséquences ultimes du nationalisme allemand depuis ses racines romantiques jusqu'à la chute du Troisième Reich.

Autant par un long et passionnant texte de présentation repris dans le programme que par une courte allocution avant le spectacle précisant son propos, explique comment il a conçu la représentation plausible d'un Lohengrin dans une Allemagne non plus fantasmée dans sa volonté de puissance à l'époque de la composition du drame, mais détruite dans ses encombrants idéaux historiques par la faillite prévisible du cauchemar national-socialiste.

Les costumes et coupes de cheveux sont sans équivoque, nous sommes bien dans les années 1940 dans un pays vaincu et en ruines, sous les oripeaux d'un empire déchu. Lohengrin n'est plus dès lors un opéra nationaliste, mais une œuvre sur le nationalisme, ses vertiges dominateurs et son irrémédiable chute tragique : la seule  perspective d'avenir plus heureux et pacifié réside dans les ultimes pages, avec l'avènement du prince Godefroy libéré de tout sortilège et figuré tout au long de l'opéra par un innocent enfant immaculé, doublé du départ de Lohengrin et de l'effondrement d'Elsa, en l'absence de toute rédemption par l'Amour (thème ailleurs souvent récurrent chez Wagner). L'action est ainsi décalée, les assemblées plénières des notables et du peuple prennent place dans un théâtre en ruines, par une habile mise en abyme. L'on « joue à » Lohengrin, après les ravages de la défaite et des bombardements, au milieu des gravats évacués pitoyablement ; le drame se déroule entre tréteaux et coulisses où dorment au troisième acte les statues et évocations bien altérées du romantisme allemand (Goethe, Schiller, Grimm, Hegel…).

Certes, cette approche à la fois historisante et postmoderne a, dans sa cohérence même, ses limites et ses tics : abus du plateau tournant pour la mutation des décors de , teintes uniment sombres, dichotomie forcenée du noir et du blanc, surlignage assez lourd des intentions de l'action par des graffitis, figuration assez décalée d'un bateleur pour remplacer les festivités du prélude au troisième acte. Mais cela ne justifie en rien, lors du salut du metteur en scène en fin de représentation, les huées venant de la part la plus réactionnaire du public, sans doute allergique à une lecture critique et actualisée des ambiguïtés politiques du livret wagnérien.

Pour cette production, la Monnaie a fait appel a deux distributions différentes pour les quatre principaux rôles. Il nous est donné d'entendre ce soir la seconde équipe. Le ténor américan remplace presque au pied levé Joseph Kaiser souffrant : il campe un Lohengrin fragile et nuancé auquel il manque peut-être un soupçon de vaillance héroïque et d'ampleur lyrique. L'Elsa de a sans doute la présence dramatique et hallucinée attendue, mais sa performance vocale est entachée d'un excès de vibrato contrariant parfois la justesse. Le Telramund de , certes présent et efficace, manque sans doute un peu de noirceur et de puissance. À notre sens ce sont l'Ortrud aussi glaçante que manipulatrice de Sabine Hogrefe, authentique et magnifique soprano dramatique, le héraut très humain de , et surtout la basse impériale et généreuse de en Henri l'Oiseleur qui suscitent le plus d'enthousiasme et d'adhésion. Mentionnons aussi la performance des , et spécialement celle des pupitres masculins, en très grande forme vocale et admirablement préparés par . Mais les presque quatre heures de l'œuvre sont portées  à l'incandescence par la direction engagée et aussi finement nuancée (dès  les pianissimi du prélude au premier acte) d'un en état de grâce, aussi précis qu'engagé, aussi scrupuleux que lyrique, à la tête d'un Orchestre de la Monnaie en grande forme doté ainsi d'un impressionnant éventail de nuances au fil de cette riche et mordorée partition.

Crédit photographique : © Baus / La Monnaie

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