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Sagesse et jouvence dans le Debussy de Menahem Pressler

poursuit sa deuxième vie d'artiste avec une fraîcheur que ses 94 ans semblent ne jamais devoir entamer. Après une série de récitals, il enregistre son premier disque pour Deutsche Grammophon en tant que soliste, autour de la figure de Debussy.

On pourrait considérer avec un brin de soupçon cet homme âgé qui, depuis 1955 et les premières armes du Beaux-Arts Trio, n'a pratiquement jamais quitté la scène, et aligne aujourd'hui quelques « tubes » de Debussy dans un programme hétéroclite. Nous vend-on un nom sur une étiquette jaune ? Est-on l'objet d'une opération de marketing, de celles auxquelles même les grandes maisons de disque se laissent aller parfois ?

Non, trois fois non ! Voilà la réponse qui, dès l'écoute de la Première Arabesque, jaillit à nos oreilles. Ce qu'on entend, par-delà certains réflexes digitaux disparus, ou un usage de la pédale moins vif qu'au temps de la jeunesse, c'est une musique comme seuls les plus grands pianistes savent la jouer : un phrasé souverain, un chant ininterrompu, une expressivité pure de tout excès, et surtout, un toucher infiniment délicat, varié à l'infini.

Le minutage intimidant de certaines pièces (Voiles dure cinq pleines minutes, La Cathédrale engloutie près de huit) n'est pas le fait d'une lenteur outrancière, mais d'un poids accordé au silence, d'une absence de hâte, d'un calme qui n'abolit jamais la tension narrative, et qui nimbe ces classiques debussystes d'une lumière vespérale, d'un halo de bonheur paisible, profondément touchant.

Ces pièces – le Clair de lune, La fille aux cheveux de lin, en particulier – rayonnent toutes d'une même qualité : une vraie liberté. Pas la liberté calculée et ostentatoire de la tête brûlée qui ne donne un coup de pied à l'institution que pour mieux s'en faire adouber, mais la liberté de celui qui n'a plus rien à prouver. Il n'est pas question pour Pressler de servir de référence, de marquer l'histoire de l'interprétation, mais simplement de jouer une musique qu'il aime viscéralement, de laisser s'exprimer la sensibilité qu'une vie entière a nourrie en lui (et quelle vie, avec combien de joies et d'épreuves !). Quelques essais sont moins réussis, comme des Danseuses de Delphes ou une Pavane de Ravel trop sèches ; mais à la boussole de l'intériorité, on est certain de ne jamais s'égarer bien loin. Puissent les pianistes de vingt ans s'inspirer d'un maître si sage, et conserver à sa suite l'authentique jeunesse : c'est toute la postérité que l'on souhaite à .

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