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Ligeti au cœur d’un concert-fusion au Triton

Comme le , le pianiste et compositeur aime jeter des passerelles entre les genres, en croisant l'improvisation et la musique écrite. Avec Les Métanuits, c'est une réécriture pour piano et saxophone soprano du premier quatuor de Ligeti Métamorphoses nocturnes qu'il met sur les pupitres, en invitant le à jouer l'œuvre originale en première partie de concert. Une initiative qui n'aurait sans doute pas déplu au musicien hongrois proche de la musique populaire et de ses développements rhapsodes.

La salle basse et un rien confinée du Triton n'est guère favorable aux cordes. Mais les Béla bénéficient d'une légère réverbération pour interpréter l'une de leurs œuvres fétiches, qu'ils ont gravée en 2013 sous le label Æon. C'est avec cette partition dans ses bagages que Ligeti fuit le régime totalitaire de la Hongrie en 1956 pour se réfugier à Vienne. L'œuvre est encore sous l'influence de Bartók, avec une dimension rythmique et des contrastes abrupts qui nourrissent l'écriture. Les Béla en accusent les reliefs sans jamais forcer le trait, soignant la qualité du son et les couleurs engendrées par les dix-sept variations d'un unique thème originel. La synergie et la puissance du jeu des quatre partenaires sont fascinantes, au sein d'une trajectoire où l'humour et la verve ligetienne côtoient des instants presque tragiques, tels ces « pizzicati Bartók » implacables au violoncelle, qui strient violemment l'espace. Superbes également ces nuées d'harmoniques sous les archets des musiciens pour nimber le thème très expressif dans ses circonvolutions chromatiques. L'interprétation aussi sensible que musclée des Béla est rien moins qu'hypnotique, livrant tout à la fois la rigueur et l'imaginaire foisonnant de l'écriture ligetienne.

C'est elle qui, rigoureusement, a guidé la partition des Métanuits. s'empare du matériau et des processus du compositeur hongrois pour les mener plus avant et jusqu'à l'épuisement, avec une énergie et un sens de la performance accomplis. Jamais les deux partenaires, ( et le saxophoniste ) ne s'égarent, au fil d'une trajectoire de plus de quarante minutes émaillée d'humour et de surprises, qu'un climax monstrueux, engageant poings, coudes et avant-bras du pianiste, viendra couronner dans les dernières minutes. Privilégiant l'aspect répétitif, voire obsessionnel (son côté bartokien), Roberto Negro explore les ressources du piano préparé et du jeu dans les cordes de l'instrument, parfois percutées par une baguette tenue à proximité : du brio voire de l'anecdotique, mais toujours au service du propos. Souple sur ses jambes et très réactif, , quant à lui, modèle à l'envi ses profils mélodiques : vibrato sensible pour le thème du quatuor, figures acérées et pulsées induites par le rythme du piano. Très soucieux de ses anches qu'il ne cesse de changer, le saxophoniste pratique également la respiration circulaire, dans des séquences au temps plus étiré. Le retour du thème au saxophone, sur quelques notes cristallines du piano, est à fleur de souffle et d'émotion…

Indispensable et festive, la réunion des six musiciens sur le plateau se fait après l'entracte, autour de la composition (sans titre ?) de Roberto Negro. L'œuvre est toujours en hommage à Ligeti, moins élaborée certes et plus hétérogène que celle du maître hongrois. La formation atypique n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle du Quatuor pour la fin du temps d'Olivier Messiaen. Le chorus des cordes et du saxophone dans un rythme libre évoque, lointainement La danse de la fureur pour les sept trompettes, sixième mouvement du Quatuor. Féru d'improvisation, le violoniste emboite le pas d' dans de libres solos sous l'accompagnement délicieusement timbré du piano préparé. L'œuvre est sans prétention mais l'osmose réussie entre les deux phalanges complices.

Crédit photographique : Roberto Negro ©  Flavien Prioreau

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