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Dans l’atelier de la modernité avec Pascal Rophé et l’Orchestre National de France

La Maison Ronde résonne ce soir de quatre œuvres dans un programme bien pensé mettant en miroir le post-romantisme, une modernité colorée ou fracassante et le contemporain le plus chatoyant. Un très beau concert, donc, où brillent deux solistes, et , ainsi que Pascal Rophé, chef à la fois énergique, engagé et raffiné.

Le Webern que l'on connaît n'est pas celui de l'idylle pour grand orchestre Im Sommerwind, écrite durant l'été 1904, alors qu'il n'avait pas encore suivi l'enseignement de Schoenberg. Aux premières mesures – les notes pédales des contrebasses prolongées par les autres cordes dans un climat suspendu –, on se croirait dans une ouverture de Richard Wagner. Puis, ce poème symphonique d'une douzaine de minutes composé sur un texte de Bruno Wilde prend rapidement et nettement un caractère straussien, avec ses passages entre soli et tutti, ses sautes d'humeur et son pittoresque. Nous sommes bien dans la nature, évoquée en majeur – l'euphorie estivale, celle aussi de la jeunesse. Caresse du vent très bien rendue par l', très à son aise.

Peut-on faire un meilleur compliment à un compositeur qu'en affirmant que ses créations manifestent le caractère mystérieux de la musique ? Car c'est bien le cas du Double Concerto pour violon, violoncelle et orchestre de , œuvre complexe et sensuelle en même temps, donnée ici en création française. Austère sans être froide, intérieure mais pas cérébrale, elle maintient une tension permanente. Ici se joue un drame. Le sous-titre – « At-Swim-Two-Birds » – est emprunté à un roman de Flann O'Brien racontant la vie décousue d'un étudiant qui se rêve écrivain et dont les fictions en engendrent d'autres. Une même mise en abîme travaille la musique, qui n'a affaire qu'à elle-même, tout occupée qu'elle est à maintenir l'équilibre fragile entre deux oiseaux tour à tour solistes ou fusionnels, mais sans jamais former un duo traditionnel. Le premier solo des deux instruments, lyrique, polyphonique et obstiné, est absolument envoûtant. et sont confondants de virtuosité. L'orchestre n'est pas absent, il est même le troisième personnage de cette partition que le compositeur a pensée comme un trio, plus que comme une œuvre concertante.

Entrée en fanfare in medias res avec Le Chant du rossignol, qui met en valeur – et avec quelle maestria ! – toutes les ressources de l'orchestre. Ce poème symphonique adapté de l'opéra Le Rossignol pour les ballets de Diaghilev évoque la vie à la cour de Chine, d'où les motifs pentatoniques et autres “chinoiseries” qui émaillent la partition. Il y a deux rossignols : un oiseau véritable, incarné par la flûte, et un volatile mécanique, joué par le hautbois. Pascal Rophé et l'ONF interprètent cette musique capricieuse avec beaucoup de brio et de précision.

On comprend aisément que l'écoute d'Arcana fut un choc qui changea la vie du alors qu'il avait 18 ans. Ce n'est pas une musique à programme, même si figure en exergue une citation de Paracelse et si son titre évoque l'alchimie. Le secret dont il est question ici est la manière dont se construit une forme en maintenant cachés les moyens d'y parvenir. Entre fanfares dissonantes, percussions déchaînées, marche militaire et coda apaisée et comme tendue vers le mystère du ciel infini, le grand mage semble ouvrir une troisième voie. Dommage que Pascal Rophé ait alors semblé porter l'orchestre à bout de bras.

Crédits photographiques : © Ben Phillips

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