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Pablo Heras-Casado, nouvelle référence bartókienne

De cet enregistrement réunissant les deux œuvres orchestrales phares de l'ultime période créatrice bartókienne, fait figure de référence moderne dans le Concerto pour orchestre, une œuvre déjà bien servie par le disque. 

avait noué quelques contacts aux États-Unis à la fin des années trente, et pensait pouvoir y vivre et y mener carrière, en fuyant l'Europe, la barbarie nazie et le second conflit mondial latent. Malheureusement, après son installation outre-Atlantique, la sécurité matérielle tant escomptée ne fut pas au rendez-vous, par la faute d'une carrière de soliste au point mort et de divers mandats universitaires pourtant promis, mais non attribués ou renouvelés. C'est donc grâce à son activité de compositeur et aux commandes de musiciens protecteurs que le musicien hongrois put survivre plus ou moins décemment, malgré la leucémie qui le mina dès son arrivée en 1940. Commandé par Serge Koussevitzky pour « son » Boston Symphony Orchestra, et composé à l'été 1943 lors d'une période de rémission de la maladie, le justement populaire Concerto pour orchestre apparaît comme une œuvre de synthèse des divers éléments stylistiques de toute l'œuvre du maître, dans une grande variété de climats, mais avec un sens souverain de l'architecture (forme en arche en cinq mouvements, progression de l'angoisse liminaire la plus noire au triomphal finale, en passant par le désarroi de l'élégie centrale, centre de gravité de l'œuvre, ou l'ironie populaire ou mordante des mouvements pairs). Composé pour sa seconde épouse Ditta Pásztory, en guise de cadeau et d'adieu à la vie (l'œuvre était presque achevée à la mort du compositeur, y manquait l'instrumentation des dix-sept dernières mesures, complétées par son disciple Tibor Serly), le presque néo-mozartien Concerto pour piano n° 3  renouvelle le genre, dans un langage certes classique et tonal, par une conception dialogique originale entre un piano soliste diaphane et un orchestre souvent finement divisé et ainsi habilement mis en valeur.

et ont une vision assez intimiste des deux premiers temps de ce Troisième concerto, où le soliste vient ici en quelque sorte diamanter l'orchestre, un peu à la manière d'une symphonie concertante dans l'Allegretto liminaire, ou d'un dialogue chambriste à grande échelle dans l'Andante religioso, certes peu recueilli (quand on songe à Anda/Fricsay, DGG), mais dont la section centrale a rarement pris un tel aspect prophétique de « volière musicale », à la future manière d'un Messiaen. Néanmoins, par le parti-pris d'objectivation musicale, le discours souffre d'une certaine littéralité, surtout côté soliste, un peu bridé et timide. L'Allegro vivace final libère certes enfin l'énergie lentement accumulée, mais parfois de manière un peu précipitée ou désordonnée, avec de trop franches ruptures de tempi (la section grazioso à partir de la mesure 392, par exemple, dont le tempo fléchit trop brutalement à notre sens, sans continuité musicale). Pour cette œuvre attachante, mais à l'équilibre fragile dans la réalisation, les versions plus traditionnelles et extraverties, outre celle du tandem Anda/Fricsay déjà mentionnée, de Kovacevich/Davis (Decca), Kocsis /Fischer (idem, à rééditer) ou même d'Hélène Grimaud en compagnie de Pierre Boulez (DGG) nous semblent nettement préférables.

Par contre, le plat de résistance, le Concerto pour orchestre, est aussi sublime que phénoménal. Avec une Philharmonie de Munich des grands jours, orchestre aussi discipliné qu'engagé (bois fruités, cuivres rutilants, mais nullement envahissants), signe ici l'une des incontestables références modernes de l'œuvre : sens de la grande forme, savant dosage des plans sonores, expressivité de tous les instants sont au rendez-vous. Dès l'introduction et le frémissement fantomatique des cordes, l'on est conquis et captivé par l'ambiance inquiétante ainsi campée, laquelle culmine dans une Élégie centrale aux déchirantes et insoutenables langueurs. Le chef espagnol retrouve aussi la pulsation naturelle du Giucco delle copie, à la manière de Ferenc Fricsay (DGG) ou plus encore de Georg Solti dans sa gravure à Chicago (Decca, 1981), bien plus rapide et incisive qu'à l'accoutumée. La virtuosité individuelle et collective culmine dans un finale solaire, plus preste que pesant, où règnent en maître le sens de la pulsation et du rebond rythmique, et où le jeune chef combine l'élégance racée et impitoyable d'un Fritz Reiner à Chicago autrefois (BMG-RCA) avec le sens chirurgical de l'épure d'un Christoph von Dohnanyi à Cleveland (Decca), plus récemment. À n'en pas douter, pour ce seul Concerto pour orchestre, ce disque est appelé à faire date, et révèle enfin un chef dans le grand répertoire symphonique du vingtième siècle, jusque ici cantonné par son éditeur dans les (excellentes) relectures historiquement informées du romantisme, voire de la période baroque (Monteverdi !). À suivre !

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