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Richard III de Giorgio Battistelli entre à La Fenice

Repris dans la mise en scène efficace de , Richard III de trouve à La Fenice un orchestre compact tenu d'une main de maître par , quand sur scène la troupe et les chœurs exaltent le drame de Shakespeare autour du magnifique roi de .

Lorsque Marc Clémeur, alors directeur du Vlamsee Opera, commande un opéra à et au librettiste Ian Burton, le premier sujet évoqué est celui d'un ouvrage autour de la vie de Rudolf Noureev. Difficile d'évaluer les discussions entre l'abandon du projet et l'apparition de Richard III, mais c'est finalement le roi tueur en série de Shakespeare qui fait l'unanimité pour une création à Anvers en janvier 2005. Clémeur ensuite à l'Opéra du Rhin rapporte la production, encore effective en 2018 pour cette reprise d'intérêt à La Fenice.

En Vénétie, le public composite de la salle mêle passionnés et habitués à de jeunes touristes, pour quelques-uns surpris par les premiers accords de la partition de Battistelli, car l'on repassera sur l'idée d'un opéra romantique en couple avant un dîner aux chandelles dans la plus belle ville du monde, alors qu'aujourd'hui sur scène, on se massacre et s'entretue sans distinction d'âge ni de sexe. Et pourtant, les spectateurs restent après l'entracte et applaudissent avec entrain pendant de longues minutes toutes l'équipe musicale aux saluts.

L'opéra d'environ deux heures présente une partition de fosse tendue, écrite pour un orchestre de format classique agrémenté de nombreuses percussions. Le flux continu de la musique orchestrale, toujours tonal bien que parfois dissonant ou sur-amplifié par un système acoustique, se montre particulièrement bien maintenu et compacté par la battue précise de . Le chef favori de Salvatore Sciarrino, déjà passionnant cette saison à Francfort dans La Maison des Morts, possède un geste idéal pour agencer les équilibres, toujours en place jusqu'au chœur, superbe dans la dynamique comme dans la noirceur. Les nappes permanentes de cordes soutiennent par une tension latente toute l'action, renforcée selon les phases du livret par des climax d'ampleur aux cuivres et aux percussions, pour certains déportés dans les loges de côtés.

Le travail de alimente efficacement le drame, bien que l'idée de costumes de croque-morts à chapeaux ronds avec à l'occasion des parapluies ouverts sur scène soit une réplique d'une image de la Lucia di Lammermoor d'Andrej Serban pour l'Opéra de Paris. Cette inspiration vient cependant certainement aussi du fait que le spectacle était d'abord prévu pour les Flandres, où Magritte est connu de tous. Le sol recouvert d'une poussière rouge sanguine renforce la notion de bain de sang permanent et permet de cacher ou d'enterrer rapidement les corps. Le plateau est encadré de gradins qui ramènent à la notion de théâtre élisabéthain, sans pour autant en avoir le style, en même temps qu'ils jouent sur le concept d'un ensemble choral spectateur, un élément souhaité par le librettiste Ian Burton pour raconter le drame à la manière des chœurs de tragédies grecques.

De la distribution, il faut repérer les rôles de ceux qui sont partis trop tôt, parce que trop hâtivement découpés ou discrètement poignardés pour permettre à Richard III d'atteindre puis de garder le pouvoir suprême. Avant d'être évincé, est un Edward IV vaillant à l'aigu, même lorsque la partition lui demande des notes violentes, ou des défaillances à la voix. Le Prince Edward de monte encore plus haut et dénature encore plus la ligne d'une tessiture de contre-ténor, quand le ténor le mieux protégé est le Tyrrel de , chanteur pourtant d'abord massacré à l'acte I dans le rôle de Clarence. Des femmes, donne une belle stature à la Reine Elisabeth mais laisse le premier rôle et la partition la plus haute à la voix colorée d' pour Lady Anne. La Duchesse d'York revient à la mezzo-soprano , dont le timbre permet plus d'assise dans le grave du texte pour protéger les hommes de la folie du nouveau roi.

Le royal fou sanguinaire a besoin d'un acteur sombre et charismatique et le trouve avec , excellent de bout en bout en Richard III pour une tessiture de baryton utilisée, comme celle du Lear d'Aribert Reimann, sur tout le spectre jusqu'aux aigus en voix de fausset. Son final à terre autour de la tirade si célèbre « My Kingdom for a horse » bouleverse en même temps qu'il montre toute la souffrance des plus grands lorsqu'ils s'effondrent. En 2015, Carsen et Battistelli ont retravaillé ensemble pour un opéra écologique titré CO2 et créé à La Scala dans le cadre de l'Exposition universelle, mais leur première collaboration, sans doute aussi à cause du sujet définitif et du livret de Burton, se montre nettement plus passionnante.

Crédits photographiques : © Michele Crosera

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