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À Toulouse, les dialogues musicaux passionnés de la chapelle des Carmélites

Après un galop d'essai réussi à la fin de l'été dernier, la saison Musique en dialogue aux Carmélites, dans le bijou baroque toulousain de la chapelle des Carmélites, propose une nouvelle série de concerts-lecture originale et de haute volée.

Enchâssé dans les ruelles du centre ville, à un jet de pierre de la basilique Saint-Sernin, cet unique vestige de l'ancien couvent des carmélites possède une acoustique exceptionnelle grâce à une voûte en bois, peinte à la fin du XVIIIe siècle par les artistes Rivals et Despax. D'aucuns n'hésitent pas à l'appeler la « Sixtine toulousaine ». Pour le premier programme, l'exiguïté du lieu, qui n'offre que deux-cents places, la notoriété des artistes toulousains, la violoniste et le pianiste-compositeur , associés au philosophe , a nécessité l'organisation de deux autres représentations le samedi, puis le dimanche après-midi.

Le philosophe et l'amour

Le trio avait choisi d'évoquer l'amour à travers de grandes pages romantiques. Au lieu d'associer de grands textes philosophiques à la musique, comme on aurait pu s'y attendre, a préféré intervenir à bâtons rompus, comme s'il improvisait, pour évoquer les correspondances entre chaque pièce, les mouvements philosophiques et les grands auteurs. Sa parole est aussi naturelle que le jeu des musiciens. C'est ainsi que l'on apprend que la Danse macabre de Saint-Saëns, dans la transposition du compositeur, est issue d'un poème d'Henri Cazalis en 1874, se moquant de la mort et des valeurs bourgeoises, dans l'esprit du mouvement bohème, qui rejoint le stoïcisme et le bouddhisme dans le non attachement. Inspirée par une nouvelle d'Anatole France, Thaïs de Massenet, oppose les deux faces de l'amour Éros et Agapè. Le philosophe ose toutefois un raccourci musical en réduisant l'opéra de Massenet à la fameuse Méditation, admirablement jouée par . C'est faire peu de cas de la passion lyrique des Toulousains, alors que Michel Plasson a dirigé cet ouvrage à plusieurs reprises au Capitole.

La fébrilité, la nostalgie et la souffrance qui dominent le deuxième mouvement de la Sonate pour violon et piano de Franck, s'associent naturellement à la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, mais il est un peu hâtif d'affirmer qu'il s'agit à coup sûr de la fameuse Sonate de Vinteuil, chère à l'imaginaire proustien, puisque celles de Saint-Saëns et de Lekeu font également partie des suppositions. Provenant d'une ballade de Goethe, le poème symphonique de , L'Apprenti sorcier est ici donné dans l'ébouriffante transcription pour piano et violon de , en création mondiale. établit un lien avec le philosophe grec du Ier siècle Lucien de Samosate, dont Les Amis du mensonge ou l'incrédule inspira Goethe et renvoie au mythe de Prométhée.

Le parcours s'achève avec trois extraits du Petit Prince, la belle partition de inspirée par le conte universel du pilote écrivain Antoine de Saint-Exupéry. Son langage musical, tonal et mélodique, illustre le monde désenchanté quand l'amour disparaît avec les épisodes de la fleur, du renard et de l'allumeur de réverbères. Enfin, le violon virtuose de éclate avec la célèbre Csardas de Vittorio Monti, dont les rythmes slaves et tsiganes évoquent aussi sa Roumanie natale.

Histoire d'un violon

Dans le même décor, quelques semaines plus tard, la violoniste et , l'une des anciennes grandes voix de France Musique, nous racontent l'histoire captivante du violon rouge cerise, qui vit le jour en 1723 dans l'atelier du luthier vénitien Matteo Goffriler. Cet instrument exceptionnel, qui rivalise avec les Stradivarius de Crémone, dont le père était surtout connu pour ses violoncelles, a vécu une épopée de trois siècles à travers l'Europe. Dans ce beau récit, adopte la voix du violon et parle à la première personne, tandis qu' le fait chanter avec virtuosité, finesse et sensibilité, se mouvant naturellement selon les styles des compositeurs des diverses époques traversées.

À Venise, il aura sans doute croisé Vivaldi et ses élèves de la Pietà, mais acquis par le virtuose et compositeur Johann Georg Pisendel, il part pour la Saxe où il rencontre Johann Sebastian Bach et devient polyphonique avec ses fameuses Sonates et partitas, dont décline l'Adagio de la première sonate et la Gavotte en rondeau de la 3e Partita. À la mort de Matteo Goffriler en 1742, il traverse l'Europe et arrive à Paris aux mains de Jean-Marie Leclair, puis repart à Gênes après l'assassinat du virtuose français. Il rencontre le diable Paganini et ses redoutables Caprices, dont Amanda Favier choisit le 13e La Risalta, cet éclat de rire aux doigtés surhumains. Le violon retourne à Paris pour être réparé par le luthier Vuillaume où il est repéré par le grand , l'ami de Brahms. De sa plume, Amanda Favier fait entendre une étonnante cadence composée pour le 4e Concerto pour violon de Mozart. Il passe logiquement aux mains du Belge avec l'époustouflant mouvement Obsession extrait de sa 2e Sonate pour violon seul, dédiée à Jacques Thibaud. Les citations alternées du Prélude de la 3e Partita de Bach et du Dies Irae créent en effet une emprise mentale certaine.

Le XXe siècle sera douloureux, même s'il commence avec le charmeur Fritz Kreisler, dont le Scherzo caprice op. 6 de 1911, dédié à Ysaÿe, est un dernier bonheur avant un long silence imposé par la peste brune, puis l'acquisition par un collectionneur qui l'enferme dans un coffre pendant plusieurs décennies. Le calvaire prend fin en 1996, après soixante ans de silence, quand une jeune élève du grand pédagogue Sir Ifrah Neaman le découvre pour lui redonner vie. Amanda Favier illustre cette renaissance avec la lumineuse 3e Sonate de avant de conclure par une joyeuse synthèse musicale, la flamboyante pièce de , Paganiniana, qui résume le parcours de cet instrument magique.

Face à l'insistance du public conquis, les artistes ont continué avec une œuvre rare pour violon et récitant, Ferdinand le petit taureau du compositeur anglais Alan Ridout (1934-1996), inspirée d'un dessin animé de Walt Disney en 1938. Cette histoire d'un taureau andalou pacifiste, qui préférait sentir les fleurs aux combats de l'arène, fut considérée comme subversive dans l'Espagne franquiste. Il est légitime de s'interroger sur la part d'histoire et de fiction de ce beau récit écrit à quatre mains, mais assure que tout est véridique.

Crédits photographiques : © Alain Huc de Vaubert ; © Jean-Jacques Ader

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