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Un poétique et tendre Orlando Paladino à Munich

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Munich. Prinzregententheater. 23-VII-2018. Joseph Haydn (1732-1809) : Orlando Paladino, opéra en trois actes sur un livret de Nunziato Porta. Mise en scène : Axel Ranisch ; décors et cotumes : Falko Herold ; chorégraphie : Magdalena Padrosa Celada. Avec : Adela Zaharia (Angelica) ; Edwin Crossley-Mercer (Rodomonte) ; Mathias Vidal (Orlando) ; Dovlet Nurgeldiyev (Medoro) ; Guy de Mey (Licone) ; Elena Sancho Pereg (Eurilla) ; David Portillo (Pasquale) ; Tara Erraught (Alcina) ; François Lis (Caronte). Münchener Kammerorchester, direction : Ivor Bolton

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Méfiez-vous des débutants : pour son quasi-début à l'opéra, le jeune cinéaste propose un spectacle formidable.

Voilà un spectacle qui prend le spectateur par surprise. C'est dans un cinéma que le cinéaste situe l'action (pourquoi pas), un cinéma dirigé par un couple plus très jeune et pas très dynamique, avec sa fille Alcina, la femme de ménage Eurilla, le concierge Licone ; l'ouverture montre avec un prosaïsme appuyé leurs turpitudes même pas croustillantes, et le rideau-écran se lève ensuite sur le décor à peu près réaliste d'un cinéma vieillot, façon années cinquante peut-être. C'est amusant, mais cet humour n'est pas fait pour tenir la distance de toute une soirée : telle n'était pas l'intention de Ranisch et de son décorateur Falko Herold, qui poussent les murs et, notamment à l'occasion de la crise destructrice d'Orlando, ouvrent la voie d'une abstraction de plus en plus large. Le dernier décor, très proche de ceux que Herold réalise pour les mises en scène de David Bösch, sombre et intense, est un lieu magique.

Ranisch ne propose pas un remake de La rose pourpre du Caire, mais sa matière est celle des rêves, des mythes, des fantasmes. Ici, on ne vit pas dans le monde enchanté des films, c'est la coupure avec le réel qui s'efface : on peut y voir une forme d'escapisme, pour employer un anglicisme fort pratique, mais ce qui est créé ici est moins une illusion qu'une utopie, la fiction comme lieu indispensable de création de ce qui nous inscrit dans la communauté des humains. Pourquoi écrit-on encore en 1782 un opéra sur cette vieille histoire mille fois traitée de Roland furieux et de la belle Angélique ?

Les amateurs de dorures et de robes à panier aiment disqualifier les livrets d'opéra pour pouvoir privilégier la surface au fond des œuvres ; Ranisch, lui, prend au contraire l'œuvre au sérieux, en soulignant toute la force créatrice de la nostalgie qui nous attache à ces mythes. Cinéaste, il utilise l'image filmée, mais avec parcimonie et intelligence ; surtout, comme paraît-il dans ses films, il jette sur ses personnages un regard tendre, affectueux, empathique, jusque dans leur bizarrerie. L'air de Pasquale à l'acte II où il fait l'éloge de ses qualités musicales correspond à un cliché rebattu de l'opera buffa ; ici, ce flirt avec Eurilla devient un moment irrésistible de charme et d'humour. Plus encore, l'épisode « infernal » avec Caron dans l'acte III prend une force proprement mythologique, avec l'aspect initiatique d'une épreuve qui rend les personnages à leur pure innocence originelle. Le public, qui ne manque pas de s'amuser quand il le faut, est de plus en plus pétrifié d'émotion, et malgré un hueur solitaire Ranisch obtient une ovation du tonnerre.

, un ténor de rêve

9C2A0744La soirée vaut heureusement aussi pour sa qualité musicale. Le manque à vrai dire de couleurs, mais , qui connaît bien ce répertoire, est un efficace chef de théâtre qui fait avancer l'action. Dans la distribution, on peut trouver, s'il faut faire quelques critiques, que ces dames manquent un peu de netteté dans la diction et d'impact émotionnel, la meilleure étant en Eurilla ; chez ces messieurs en revanche, l'enchantement est plus grand encore, avec surtout un trio de ténors comme on n'en entend pas tous les jours : en serviteur vif-argent, en Orlando qui, moins que furieux, est toujours un peu perdu, et surtout , membre de l'Opéra de Hambourg, qui réunit les qualités ordinairement incompatibles de délicatesse, de puissance, de précision, d'expressivité qu'on cherche si souvent en vain dans ce répertoire de la Vienne classique. Tous, naturellement très engagés dans le spectacle, tirent un parti direct de la formidable direction d'acteurs pour approfondir leur personnage : la musique fait vivre le théâtre, le théâtre nourrit la musique. La définition même, simple et puissante, de l'opéra.

Crédit photographique : © Wilfried Hösl

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Munich. Prinzregententheater. 23-VII-2018. Joseph Haydn (1732-1809) : Orlando Paladino, opéra en trois actes sur un livret de Nunziato Porta. Mise en scène : Axel Ranisch ; décors et cotumes : Falko Herold ; chorégraphie : Magdalena Padrosa Celada. Avec : Adela Zaharia (Angelica) ; Edwin Crossley-Mercer (Rodomonte) ; Mathias Vidal (Orlando) ; Dovlet Nurgeldiyev (Medoro) ; Guy de Mey (Licone) ; Elena Sancho Pereg (Eurilla) ; David Portillo (Pasquale) ; Tara Erraught (Alcina) ; François Lis (Caronte). Münchener Kammerorchester, direction : Ivor Bolton

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