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Berlioz romantique et révolutionnaire à La Côte Saint-André

Berlioziens autant que fidèles de La Côte Saint-André, les deux chefs et , à la tête de leur phalange respective, investissent la scène du Château Louis XI avec des programmes ambitieux, donnant à la pensée et la musique du génie romantique sa résonance universelle.

, dirigeant son ainsi qu'un double chœur d'hommes (Spirito et choeurs lyonnais), a mis à l'affiche Le Temple universel, une sorte d'hymne, très bref et quasi inconnu de Berlioz, que l'on entend ce soir dans la nouvelle orchestration d'. Écrite en 1861 et destinée à un festival choral au Crystal Palace de Londres, la version originale du Temple universel est pour orgues et voix. C'est un message pacifiste et internationaliste (une des constantes de la pensée berliozienne), qui passe dans le texte en français de Jean-François Vaudin : « Embrassons-nous par-dessus les frontières ! L'Europe un jour n'aura qu'un étendard… » Berlioz l'a composé « pour deux peuples, chacun chantant dans sa langue », précise-t-il. C'est ainsi que nous l'entendons, l'anglais alternant avec le français, puis les deux ensemble, dans une superposition digne de notre grand polyphoniste. Si la compréhension du texte en pâtit, l'ardeur des voix d'hommes en communique ce soir le souffle. L'orchestration ciselée d' (vents par deux), rehaussée d'une partie de timbales musclée, fait valoir la vitalité d'une écriture toujours foisonnante, dont on aurait souhaité plus de définition au sein de l'orchestre.

Ce thème de la fraternité des peuples ne pouvait trouver plus belle résonance que dans « La Neuvième » de Beethoven vénérée par Berlioz. Cet autre « temple » érigé par le maître de Bonn sur le texte de Schiller (« Embrassez-vous, million d'êtres ») est exécuté ce soir par Les Siècles sur les mêmes instruments français de 1840 : authenticité des couleurs donc et tempi très ajustés par qui propulse le mouvement et en détaille les nervures rythmiques avec une vitalité prodigieuse ; même si l'équilibre sonore peine à s'instaurer au sein de l'Allegro initial, dans une acoustique peu favorable aux cordes « d'époque ». Les timbales sont particulièrement véhémentes dans le Scherzo très flexible et bien mené. La vitesse du Trio (exigée par Beethoven) est par contre périlleuse, surtout pour les cors, trop en retrait. L'adagio molto et cantabile pâtit davantage de ces problèmes d'équilibre, les familles instrumentales peinant à fusionner et donnant parfois l'effet d'une musique filtrée, ne livrant que le « négatif » de l'image sonore. Le Finale est à la hauteur du message délivré, généreusement servi par le chœur, mixte cette fois et bien préparé, aux côtés du quatuor vocal placé à cour : , , et relèvent vaillamment le défi d'une écriture des plus exigeante, participant de ces « majestueuses dimensions » admirées par Berlioz et qui n'ont cessé de nourrir l'utopie du compositeur.

Les mythes romantiques revisités

C'est au Berlioz dramaturge que John Eliot Gardiner, à la tête de son Orchestre Révolutionnaire et Romantique, consacre la soirée suivante, sur le même plateau du Château Louis XI. Les musiciens débutent le concert debout, dans l'ouverture Le Corsaire jouée avec une énergie et un souffle extraordinaires. La mezzo-soprano est ensuite sur le devant de la scène pour La mort de Cléopâtre, la cantate écrite en 1829 pour l'obtention du prix de Rome auquel Berlioz échouera une quatrième fois ! Trop de liberté de ton, sans doute, d'audaces vocales et de débordements expressifs dans le traitement d'un texte qui n'a pas manqué d'enflammer notre postulant. Dans le récitatif aux lignes escarpées, en souligne tous les accents dramatiques avec une autorité vocale et une diction parfaites. La Méditation en guise d'air qui le prolonge installe un rythme funèbre poignant sur lequel s'inscrit une mélodie d'ampleur presque wagnérienne. Elle est cernée par une écriture instrumentale dont la fougue occulte parfois la clarté du texte. Le vrombissement final de tout l'orchestre, après l'extinction de la voix, a certainement dû effrayer le jury de l'Académie des Beaux-Arts !

Deux extraits superbes des Troyens (1863), dernier ouvrage lyrique de Berlioz, terminent la première partie du concert. Chasse royale et orage (1er tableau de l'acte IV) ménage des effets de spatialisation (cor en coulisse) du plus bel effet. L'Orage, avec piccolo et trombones, n'est pas sans évoquer la « Pastorale », les voix en sus, celles des instrumentistes, épatants, qui chantent au plus fort de la tourmente ! Pour son air « Ah! Je vais mourir », surgit des coulisses alors que l'orchestre a déjà débuté. L'équilibre entre chant et orchestre y est davantage considéré, par un Berlioz au fait de son art. La voix longue et flexible de la mezzo-soprano, au timbre très homogène, sert ici la ligne berliozionne avec beaucoup de chaleur et d'émotion.

Harold en Italie mis en espace

Étayée d'un texte ou pas, toute la musique de Berlioz engendre le théâtre. Telle est la conviction de John Eliot Gardiner qui propose à , le héros d'Harold en Italie, de jouer son personnage de « rêveur mélancolique » en se déplaçant autour voire au sein de l'orchestre. Un rôle que notre altiste endosse avec une ingénuité bienvenue. Comme celle de Didon, l'entrée en scène du soliste est différée dans le premier mouvement, Harold aux montagnes, où l'altiste engage une tendre conversation avec la harpe, dans une sonorité lumineuse et éminemment ductile. Marche des pèlerins chantant la prière du soir, avec sa cloche détimbrée, est d'une délicatesse troublante sous le geste du chef britannique, anticipant le mystère debussyste. La verdeur du hautbois et la mélancolie du cor anglais, dont se souviendra Wagner, font le charme indicible de la Sérénade d'un montagnard des Abruzzes. Déjouant les applaudissements, tout l'orchestre se lève brusquement dans le dernier mouvement, Orgie de brigands, débutant sur un allegro frenetico. Puis deux charmantes violonistes quittent le rang pour aller « deviser » plus intimement avec l'alto au fond de l'orchestre… avant que l'orgie n'éclate à nouveau. La scène est tirée au cordeau, sous l'œil et le geste attentif du chef, ajoutant aux couleurs berlioziennes un zeste d'humour et de distance : so british!

À l'église de La Côte Saint-André

Habitué lui-aussi du festival, où il donne cette année quatre concerts, dont un avec l'Orchestre de Lyon, a inscrit à son programme rien moins que les Vingt Regards sur l'Enfant-Jésus d' (sacrée musique !), une œuvre qu'il joue par cœur, en totale symbiose avec l'esprit du maître qui l'habite. Avec une sonorité toujours sous contrôle, sans dureté bien qu'accusant les contrastes, la puissance du geste et l'énergie qu'il libère pour exploiter la capacité résonnante de l'instrument fascinent chez ce pianiste hors norme. La variété des vingt pièces est telle, dans son interprétation aussi mûrie que virtuose, que jamais l'attention ne se relâche. Le Regard sur la vierge, tendrement répétitif et balancé, émeut après l'impressionnant crescendo de L'Échange amenant un premier climax. On est saisi par le jeu flamboyant de Par lui tout a été fait, où l'assise rythmique et la conduite formelle sont souveraines. Regard de l'esprit de joie, qui referme la première partie, confine, sous les doigts de interprète, à une « transe mystique » dont on ne ressort pas indemne. Entre tendresse et vigueur rythmique, résonance d'accords complexes et digitalité lisztienne, la seconde partie culmine dans Regard de l'Église d'amour, avec son carillon de cloches et sa « fanfare de cuivres, environnée de cymbales, cloches, tam-tam et chants d'oiseaux » précise Messiaen. De quoi enflammer l'imagination sonore de notre pianiste, dont le clavier de couleurs sert généreusement les aspirations du maître.

Génération romantique

À l'église de la Côte toujours, , clarinette, Fabrizio Chiovetta, piano et , violoncelle, jouent Schumann et Brahms, deux compositeurs que Berlioz va rencontrer à Leipzig, le premier ayant défendu et fait jouer la musique du Français en Allemagne.

De Schumann d'abord, trois pièces très voire trop entendues donnent la vedette à chacun d'eux. Moins attendu, In der Nacht, un duo vocal extrait des Spanishes Liederspiel op. 74 sonne magnifiquement sous le geste de nos trois instrumentistes. Le Trio op. 114 est une œuvre de maturité de Brahms, écrit en 1891, à la suite de sa rencontre avec le clarinettiste Richard Mühlfeld. La polyphonie nourrie des trois lignes instrumentales, la conduite thématique et l'implacable rigueur formelle sont assumées avec une maestria exemplaire par les trois musiciens. Ils bouclent leur récital par le troisième mouvement des Märchenerzählungen donné en bis, une page d'une grande tendresse et plus rarement jouée dans cette formation.

Sous le balcon d'Hector

De 19h à 20h, dans les jardins de la maison Berlioz, la troupe Les Lunaisiens, emmenée par le baryton , fait revivre durant cinq jours la chanson d'histoire, « joyau de notre mémoire collective », déclinant une thématique (Les clés du paradis) en lien avec celle du festival. Vaillamment épaulé par Pierre Cussac (accordéon) et Mélanie Flahaut (basson et flageolet), dont on apprécie également les intermèdes en duos, notre baryton déclame des textes et interprète le répertoire des chansonniers du XIXe siècle, voué ce soir aux Diables et aux Saints. Le ton est vindicatif (La mort du diable) ou plus ingénu (La légende de Saint Nicolas) mais toujours humoristique, voire caustique. Gageons que l'initiative n'aurait pas déplu au maître des lieux.

Crédits photographiques : © Bruno Moussier

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