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Les Tréteaux de Couperin par Bertrand Cuiller

ouvre la boîte de Pandore des Livres de Clavecin de .

Malgré le 350e anniversaire de cette année, ni l'intégrale de Blandine Verlet (Astrée-Naïve) ni celle de Scott Ross au Château d'Assas (Still) ne reparaîtront, jalons pourtant essentiels d'une discographie pas si abondante que cela. Le premier « intégraliste », qui avait reçu les secrets de Wanda Landowska, Ruggero Gerlin, avait pourtant donné le ton dans son somptueux coffret pour l'Oiseau-Lyre (jamais reparu en CD…). est le seul à oser s'engager aujourd'hui dans l'intégrale. Habilement, il brise l'ordre chronologique, faisant des allers et retours dans les Ordres en les disposant selon une logique thématique – de caractère et d'objet et pas seulement musical – qui nous fait entrer de plain pied dans l'atelier du musicien.

« Un petit théâtre du monde » annonce pour ce premier volume, où comment passer de l'intime à la représentation, du secret à l'effusif, de la peinture au réel. Son instrument est vif, Philippe Humeau l'ayant copié sur un anonyme français du XVIIe siècle, très en timbres, avec l'aigu un rien astringent qui fait les caractères et les danses plus piquants mais n'exclue pas les teintes mélancoliques qu'il faut pour aquareller ce discours du tendre et du sensible. La grande précision du jeu fait entendre toute la fantaisie de Couperin, expose son goût des détails, dévoile à quel point la lumière entre dans son harmonie. S'il y a du Chardin chez Couperin, Cuiller l'a saisi. Et soudain ce n'est pas un théâtre qui se joue, mais des portraits qui s'animent, d'une finesse de traits, d'une exactitude d'expression qui pour en rester à des métaphores picturales seraient autant de Liotard : la finesse du pastel est dans ce jeu, mais aussi sa vivacité et sa versatilité.

Ce Couperin si vivant, si souple – écoutez les Fastes de la grande et Ancienne Ménestrandise –, se découple de celui affirmatif de Christophe Rousset ou si sensiblement animé d'Olivier Beaumont (tout juste réédité chez Warner), ose aussi une présence des danses plus affutée, un discours dont les contrastes font sans cesse tendre l'oreille. Les rythmes sont ceux du ballet jusque dans les chaconnes, la stylisation est repoussée au profit d'un réalisme physique qui engage à plein le jeu de l'interprète, ne ménageant pas la virtuosité qui chez Couperin ne se voit jamais mais exige une souplesse athlétique où rien ne doit peser mais tout s'envoler. Pourtant, aussi magnifique que soit la parure, c'est le chant qui séduit d'abord. Quelle science vocale dans La Muse-Plantine, où par la science de l'harmonie se fait entendre un legato que le clavecin ne connait pas. Qui la jouait ainsi ? Ah oui, Marcelle Meyer…

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