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Volo di notte de Luigi Dallapiccola : atterrissage réussi d’un aérodrame

Rarement soirée musicale aura été aussi insolite qu'en ce printemps 2000, et ce jusque dans sa conception : un parfum d'irréalité a plané dans un lieu plutôt inédit pour accueillir un spectacle unique : le Hangar Montaudran.

Opéra aéronautique oblige, il est dès lors inévitable pour recréer l'atmosphère particulière du roman de Saint-Exupéry, mis en musique par Dallapiccola, de choisir ce site hors du commun. En effet, des navettes terrestres – des autobus réunis aux bons soins de la municipalité – ont transporté sur la piste d'un aérodrome, interdite aux passants (pour d'évidentes raisons de sécurité), le curieux cortège des passagers en partance pour cette destination inconnue.

C'est une œuvre singulière d'une beauté rare, et relativement brève (un peu plus de soixante-cinq minutes) ; hélas, on peut en déplorer l'absence d'enregistrement disponible, du moins en France.

Déjà, la première partie mise sur l'originalité, proposant deux compositeurs également peu joués, Xavier Darasse et . Les rutilantes fanfares liturgiques du second, et celles de Saint Paul Cap de Jean pour le premier, retentirent sur les murs du Hangar pour la plus grande joie des mélomanes épris de musique française. Ensuite, un silence recueilli entoura l'Adagietto de la Cinquième Symphonie de Mahler – soulignant avec soin l'intensité douloureuse de cette page écrite exclusivement pour cordes et harpe.

Après une courte pause, peut se dérouler l'acte unique du drame proprement dit. Le décor représente un banal et sobre bureau au temps de l'Aéropostale, avec des cartes aériennes suspendues aux murs. Là règne Rivière, chef d'entreprise cynique, tyrannique, sans aucune velléité d'humanité ; lequel défend avec violence la pratique hasardeuse des vols de nuit. Le baryton offre une composition magistrale de cet homme égocentrique, monomaniaque, démiurge défiant ciel et éléments. Face à lui, les pilotes, mécaniciens et télégraphiste ne sont que d'infimes objets ; dépourvus de la moindre valeur. Que dire de son non-dialogue avec la malheureuse épouse éplorée de Fabien (l'extraordinaire Sophie-Caroline Schatz), lorsqu'elle vient crier son désespoir absolu, face à la perte pressentie de l'être aimé (son pilote de mari en perdition).

La musique sérielle (preuve que la technique dodécaphoniste, utilisée sans froid et abstrait dogmatisme, fonctionne si elle se nourrit d'une irradiante lumière) de la partition atteint son sommet avec une scène finale bouleversante – lorsque l'on entend, par le medium de la voie du télégraphiste, Fabien en proie à un délire mystique s'abîmer dans l'immensité stellaire, avec un chœur irrésistible qui s'élève au-dessus du tissu orchestral.

Le maître d'œuvre de cette réussite exemplaire est . Celui-ci démontre, si besoin en était, qu'en empruntant des sentiers de traverse peu fréquentés par un public par trop gavé de Cinquième de Beethoven et de Rigoletto, on peut séduire le plus grand nombre.

On peut espérer entendre à nouveau une autre merveille comparable à celle de ce soir. Alors, prochaine étape : Il Prigioniero (Le Prisonnier) du même compositeur ?

Illustration :

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