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Symphonie n° 5 « Cantus firmus V – Sinfonia breve » d’Ebbe Hamerik

Cela faisait plus de dix ans que je cherchais à découvrir (1898-1951) et à entendre ses cinq symphonies, qui, disait-on, comptaient parmi les plus intéressantes du répertoire danois (et ce n'est pas peu dire), se fondaient sur un principe archaïque, mais sans verser dans le pastiche néo-classique, privilégiant un contrepoint maîtrisé et possédant parfois une puissance d'expression éruptive (je cite en substance l'article du New Grove).

La notice du présent disque note que le langage de cette dernière symphonie (1949) est semblable à celui de ses contemporains : N.V.Bentzon, Holmbœ, H.D.Koppel.

Tout cela correspond à la réalité, mais ne parvient peut-être pas à en donner une idée réaliste. C'est une œuvre surprenante : sa cohérence et son naturel sont assez évidents, et cependant, lorsqu'on cherche à en décrire les détails, elle semble pleine de contradictions apparentes.

Par ses dimensions, sa sobriété, son caractère direct, sa simplicité de démarche, elle n'a pas le profil d'une « grande symphonie », d'une de ces architectures intimidantes dont Holmbœ est un maître parmi les maîtres.

Pourtant, elle emploie un orchestre fourni – certes plus pour sa richesse de sonorités que son volume – et déploie sa force avec concision, mais aussi une grandeur naturelle. Si le propos semble dépouillé, limité à l'essentiel, le parcours est plein de séductions sonores, d'autant plus attachantes qu'elles ne paraissent jamais artificielles : ce ne sont pas des ornements vifs et accrocheurs, mais, pour ainsi dire, des couleurs de l'âme. Il s'agit un peu d'un conteur qui, sans nous brosser nulle fresque éblouissante, nous mènerait cependant à travers de vastes distances, dans des espaces profonds, habités. En écoutant et réécoutant cette symphonie, je pense parfois aux films de Dreyer et à leur religiosité, non pas à travers sa rigidité sociale, mais dans sa lumière particulière, familière, douce et infailliblement pénétrante, qui ne se voile pas en face des mystères ; il y a là, je crois, quelque chose de typiquement nordique.

Le langage d' est sobre, je l'ai dit, obstiné, légèrement rude à l'occasion, mais pas vraiment austère. Pour qui aime les instruments à vent, c'est souvent un régal de timbres purs et liés.

L'harmonie est à fondement modal, et on entend très nettement un mode «lydien» (sol majeur avec un do dièse, si vous voulez), même si un contrepoint très souple et lucide induit finalement une vraie liberté.

Le rythme est fortement caractérisé (presque toute la symphonie est à cinq temps), sans monotonie : le troisième des cinq mouvements constitue un interlude plus léger, mais le final est également syncopé, vivace, bondissant, rappelant presque ceux de Walter Piston, avec en plus une lumière fervente, une sorte de jubilation (mystique ?). Si l'on veut trouver des comparaisons, on peut songer à la puissante légèreté de Lilburn, à la clarté de Hindemith, à certains échos de Tournemire ou de Ropartz, à la verdeur de Boris Ulrich, aux courbes d'Arvo Pärt – finalement, à des univers très différents entre eux, tout cela sans tomber jamais dans le composite ou l'hétéroclite. Le cantus
firmuset les modes archaïques joints à un orchestre moderne font songer à Respighi, mais l'esprit en est bien différent : la musique d'E.Hamerik est humaine, fervente, presque « franciscaine » parfois, voire furtivement sentimentale, mais bien loin des fastes de l'Antiquité romaine ou de la Renaissance italienne ! Malipiero serait peut-être plus proche ; toutefois, Hamerik est plus linéaire, et, bien sûr, moins

latin. Le deuxième mouvement n'en possède pas moins une force épique, voire biblique (l'œuvre n'est pas explicitement religieuse, je le précise).

Peu importent ces comparaisons, cette musique parle très bien par elle-même. Elle n'est pas très impressionnante de prime abord, son originalité ne saute pas aux oreilles, mais je la trouve finalement très personnelle, attachante, oui ; et d'une grandeur assez étonnante.

Thanh-Tâm Lê (initialement publié sur la liste de discussion classique-fr)

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