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Une exquise querelle de bouffons

Deux ans après la production de la Cité de la Musique et le louangé coffret paru chez Opus 111, remet le couvert à Montpellier, qui mérite bien d'aligner ce chef d'œuvre au rang de ses recréations. Mais de quoi s'agit-il en fait ? De la commedia dell'arte, de l'opéra-bouffe (selon le sous-titre), de la conversation en musique ? Tout cela, et bien d'autres choses encore. Si l'intermède La Serva padrona de Pergolesi est passé à la postérité comme le l'envol du style buffa, en raison de son immense triomphe, il n'en fut pas – il s'en faut – le créateur.

, qui fut avec Durante un maître de Pergolesi, offrait dix ans auparavant à sa ville de Naples cette comédie, Li Zite n'galera, la seule de ses dix en dialecte napolitain qui nous soit parvenue ; et couronnée d'un retentissant succès. Du reste, depuis la réouverture du Théâtre des Florentins en 1709, la cité parthénopéenne, tandis qu'elle parachevait le genre seria, s'essayait avec bonheur aux délices d'aventures musicales plus épicées. Lesquelles étaient goûtées dans le nord de la péninsule au moins depuis que Cesti fit donner vers 1659 certaine Argia , entendue naguère au T.C.E.

Neuf chanteurs-acteurs pour dix-sept instrumentistes, en tout et pour tout, ont à défendre durant près de trois heures l'essence même de la commedia : l'équivoque. Résumer l'intrigue est un exercice vain, le but de ce type de pièce étant moins la donne de l'action que sa conduite. On y trouve tous les éléments nécessaires au comique de situation, avec un écheveau de confusions amoureuses compliquées à plaisir de rebondissements et querelles. Saddumene, le librettiste, ne se prive pas du sel des travestissements croisés (femme déguisée en homme et inversement), à quoi Vinci rajoute le piment des ambiguïtés vocales (rôle masculin chanté par une femme, et surtout la réciproque : irrésistible dérivée d'Arnalta nymphomane, tenue par de Vittorio).

Lorsque les deux duplicités se superposent (Roberta Andalò, manière de serviteur un moment revêtu de féminins oripeaux), on constate que Mozart et Strauss n'ont rien inventé. Encore une pincée de théâtre dans le théâtre (eh oui), une impayable turquerie (l'arrivée d'Hassan, la danse ottomane), un langage souvent vert et à double sens, ainsi qu'une découpe des scènes ultra-rapide : et l'on obtient le parangon de l'ouvrage composite qui fond des langages connus pour en annoncer de nouveaux.

Encore faut-il que l'autre langage, celui des notes, rivalise de brio. On n'est guère déçu. Quand l'action fuse de toutes parts, la musique jaillit de même. Si la formule rhétorique dominante est l'aria da capo que Vinci contribua a formaliser dans ses opere serie, on est loin, très loin, de sa monotone continuité. Chacun des trois actes est couronné d'un finale polyphonique, court mais travaillé à l'extrême. Entre eux, le compositeur se plaît à essayer toutes les formules qui courent sous sa plume, c'est à dire les meilleures : interludes orchestraux, ariosos, récitatifs accompagnés, duos ; et un étonnant trio de réconciliation vers la fin du II, très long ; à l'affetto sans cesse entre l'anxieux et le tendre, que même un Haendel n'écrira jamais.

La simplicité cellulaire des airs, le contraire d'une indigence, permet un épanchement mélodique constamment renouvelé, que Florio ordonne et contraste avec un petit effectif (trois vents seulement) toujours spirituel, velouté et caressant. Magnifique accompagnement des scènes (clavecin, archiluth, théorbe, violoncelle…), d'une sobre mais inusable variété. Si tous les instrumentistes méritent plus qu'un satisfecit, on se régale de surcroît d'une splendide équipe de chanteurs, musiciens accomplis autant que comédiens chevronnés. Seule , dans la peau du primo uomo, nous refroidit de quelques aigus frêles et instables.

Tous les autres sont à féliciter sans réserve, pour leur technique, leur panache, leur expressivité et leur palette de couleurs. Mention spéciale au beau baryton de Giuseppe Naviglio, deux personnages à lui seul ; et à Daniela del Monaco, enfin une vraie contralto de race, qui serait une Cornelia rêvée pour Giulio Cesare. Ne dépare pas la mise en espace de Christophe Galland, à l'image du reste : légère, efficace, caustique. Bref, on en redemande, d'autant que la vivacité du discours « vincien » fait s'épancher sa corne d'abondance avec la rapidité et le naturel d'un ciel toujours beau, parce que toujours changeant. De la conversation en musique, a-t-on dit…

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