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Renée Fleming – Dans un Survol de Nuit.

Revenons un peu en arrière : le 11 Février 1999, au Palais Garnier, mettait les petits plats dans les grands, avec un récital destiné à demeurer dans les annales. Dans celui-ci, des Debussy (Ariettes oubliées) idéaux d'incantation et de modelé, et des Strauss (dont Morgen) d'une souple et ample élévation peu égalée. Ceci pour éviter tout malentendu ; et faire un sort à certain cliché qui la voudrait grande chanteuse, mais peu douée pour l'intimité de la mélodie et du lied (son Schubert chez Decca prouve également le contraire). On accueille donc avec curiosité – et même envie – un disque original, qui se veut un parcours parmi des œuvres françaises, germaniques et russes consacrées à la Nuit.

C'est ce que nous vend, en tout état de cause, l'éditeur. Des cercles violacés en provenance directe d'une champignonnière hallucinogène constituent l'essentiel du design intérieur. Insérée dans le livret, une double confession, narcissique et prétentieuse, répond à une photographie des deux artistes, dans une sorte de salle d'attente pour consultation du Planning Familial. Passons sur cette insigne médiocrité éditoriale, et courons à l'essentiel. Fauré, en hors d'œuvre – pierre de touche, on le sait, de la mélodie française. Première déconvenue : est-ce bien de la mélodie française ici ? L'idiome prononcé – ou plutôt mastiqué – par la chanteuse est inconnu des anthropologues. Sens, accent, scansion, voyelles nasales, et liaisons dangereuses : tout y est escamoté. Assurément, la voix est là, magnifique et souveraine comme à l'accoutumée ; mais monotone, en plus d'incompréhensible, de Clair de lune à Après un rêve ; sans magie aucune.

Rendons hommage à d'épouser, plus que d'accompagner, sa partenaire ; et de la pousser à l'ésotérisme sensuel indispensable au Debussy des Bilitis. Epreuve encore plus risquée, et échec plus cuisant. Prononciation mise à part – n'y revenons plus -, la vénéneuse Bilitis se trouve, de manière toujours aussi monocorde, revêtue d'oripeaux de communiante. Etre davantage à côté du sujet semble ardu : un grand effort cérébral devient nécessaire pour aborder Marx (1882-1964) et Strauss dans la sérénité. L'oreille est d'autant plus rassurée que l'intonation se raffermit, dans cette langue allemande plus familière à la diva. Un Thibaudet des grands jours – le véritable héros de ce CD – l'aide, là encore, à commencer de convaincre. Las ! la succession des pièces ramène au triple galop un naturel trop peu chassé : linéarité, indifférence, hédonisme vain surtout.

Dès lors, après une Cäcilie très ancillaire, Rachmaninov a fort à faire pour s'imposer. C'est pourtant l'exploit qu'il réussit : on y retrouve avec soulagement la Fleming tant aimée : longue de souffle, ambrée de chair, phosphorescente d'aigus ; et aux épanchements irrésistibles… Il est un peu tard, tout de même, pour ramener l'ensemble vers le pinacle. L'amateur de Fauré ou Debussy par des voix féminines se tournera sans dommage vers De Los Angeles (EMI), Crespin (EMI et Decca), Stutzmann (RCA), Gens (Virgin) ; et trouvera des Strauss plus convaincants avec Della Casa (BMG) et Bumbry (DGG), voire Ludwig (RCA). « La » Fleming s'est voulue Reine de la Nuit ; elle n'est ici, hors Rachmaninov, pas même Mab, la Reine des Songes… mais, très certainement, une Brünnhilde au sommeil sans fin.

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